De ce point de vue, la journée du 18 août a été emblématique de la tendance. Dans la matinée, le détaillant britannique Marks & Spencer annonçait se séparer de 7.000 personnes, quelques heures avant que le géant du commerce en ligne Amazon annonce en recruter 3.500 aux États-Unis.

Mais l’annonce de Marks & Spencer n’a pas été isolée et l’été a vu se succéder les plans de licenciement. Ainsi, Debenhams, qui a déposé le bilan en avril, a supprimé 2.500 emplois, John Lewis 1.300, Selfridges 450 et le réseau de pharmacies Boots environ 4.000.

Par contraste, la chaîne britannique de supermarchés Tesco a déclaré créer 16.000 emplois pour soutenir la forte croissance de ses activités en ligne.

« Il est très clair que la numérisation du commerce, si elle était là depuis très longtemps, s’accélère énormément », observe Hervé Gilg, spécialiste de la distribution au sein du cabinet de conseil en transformation d’entreprises Alvarez & Marsal.

Principaux gagnants : les entreprises qui réalisaient déjà une part significative de leur activité en ligne. Amazon bien sûr, qui a doublé son bénéfice net au deuxième trimestre. Mais aussi l’allemand Zalando, poids lourd du prêt-à-porter en ligne, qui a vu sa base de consommateurs augmenter de 20% au premier semestre 2020, à 34 millions de consommateurs actifs.

Même s’il n’est pas un pure player, l’Américain Walmart a su s’appuyer sur l’essor du commerce en ligne aux États-Unis et réaliser une progression de 97% de ses ventes en ligne au second trimestre 2020.

Coup d’accélérateur

« La pandémie de Covid-19 a conduit de nombreux consommateurs à adopter de nouveaux comportements d’achat en faveur du commerce électronique », explique Sam Murrant, analyste principal des paiements chez GlobalData.

C’est simple : « l’e-commerce a augmenté de 41% en seulement trois mois, contre une croissance de 22% en 2020 », expliquait fin juillet le spécialiste des études de marché Kantar. « En France, au Royaume-Uni, en Espagne et en Chine, la part de marché moyenne est passée de 8,8% à 12,4% ». En Chine, le commerce en ligne représente déjà « un quart des dépenses en produits de grande consommation ».

L’évolution était déjà à l’œuvre avant que le Covid-19 ne grippe l’économie mondiale. Mais la chute brutale d’activité consécutive au confinement a eu un « effet de ciseau très important pour les commerces non alimentaires les plus dépendants des points de vente physiques », note Hervé Gilg.

Cette situation inédite « a fait prendre conscience ou a confirmé à tous les acteurs du retail qu’il était indispensable d’être présent sur Internet, et d’y être le plus compétitif possible », estime de son côté Stéphane Charvériat, directeur associé senior au Boston Consulting Group.

« Même des sociétés bien équipées sur le commerce en ligne ont découvert qu’elles n’étaient pas dimensionnées, en terme de qualité et de quantité, pour la demande qu’on a connue et qu’on connaît encore dans le contexte de cette épidémie », ajoute M. Gilg.

Investissements significatifs

Il faut évoluer, mais cela « nécessite des moyens et des investissements significatifs », rappelle M. Charvériat, alors même que certaines de ces entreprises ont vu leur trésorerie fondre. Et l’argent investi pour être présent en ligne ne le sera pas pour le réseau physique.

Ces transformations se feront sous la pression des poids lourds mondiaux, déjà bien ancrés, comme Amazon. « Forcément, c’est un très gros challenge de se confronter aux grandes plateformes », abonde Stéphane Charvériat, mais « même sans avoir les armes pour lutter en concurrence frontale avec elles, les retailers ont l’obligation de réfléchir à une stratégie Internet, peut-être moins agressive, peut-être via des alliances, y compris avec ces plateformes ».

En outre, le réseau physique des enseignes de la distribution peut devenir une force, estime Hervé Gilg. Les touristes internationaux, quand ils pourront revenir, resteront friands d’un passage dans les magasins célèbres. « Et puis Apple a très bien montré la théâtralisation que peut apporter un magasin ». Enfin, les magasins peuvent jouer sur l’« authenticité », qui manque parfois aux plateformes de place de marché, pour convaincre les consommateurs.