Comme dans la mode, le secteur de la beauté s’illustre de visages féminins [1]. Estée Lauder, Helena Rubinstein, Aliza Jabbès, Anick Goutal, Bobbi Brown, Huda Kattan ou encore Rihana et tant d’autres, derrières de nombreuses marques il y a l’œuvre de femmes qui dirigent et impriment les tendances. Pourtant et à l’instar de la mode, le volet industriel ne connaît pas la même parité. « L’univers de la beauté est très particulier. Il y a beaucoup de femmes mais quand on regarde en haut de la pyramide c’est beaucoup moins le cas. Les femmes sont les petites abeilles », constate Aïmara Coupet, consultante experte en marketing et développement de produits, et créatrice da la marque Be+Radiance. « À mon niveau je ne le sens pas comme un handicap. En revanche je constate que lorsque je mets en avant mes actionnaires masculins, on sent tout de suite que cela a un impact rassurant. Une femme ne rassure pas autant qu’un homme sur la capacité à gérer », selon elle.

Un constat en nuance pour les autres dirigeantes. « Factuellement, il n’y a pas d’égalité. En nombre de dirigeants, en termes d’écarts salariaux, en termes de charge mentale… nous ne sommes pas égaux », note Priscille Caucé, CEO de Cosmogen. « Néanmoins, et même du côté industriel, c’est un milieu extrêmement ouvert. C’est vrai que les dirigeants sont en majorité des hommes, mais c’est un milieu qui promeut les femmes et la diversité. Ce n’est pas un milieu fermé ou misogyne, juste encore très masculin », précise-t-elle.

Un sentiment partagé par Aude de Livonnière, co-présidente de la société Livcer : « Je n’ai pas constaté plus de difficultés qu’un homme dans ma carrière. Je ne suis pas sûre qu’il y ait un plafond de verre ». Même ressenti pour Isabelle Guyomarch, cheffe d’entreprise, présidente du groupe CCI Productions et fondatrice du laboratoire Ozalys/Cancer Survivor. « Je ne crois pas que l’on puisse dire que c’est plus difficile pour une femme au sens où, si l’on est capable de faire comme les hommes chacune peut y arriver », note t-elle, tout en élargissant à la problématique de la fonction de dirigeante.

Entre convictions et sacrifices

« Être dirigeante d’entreprise c’est souvent travailler douze heures par jour, plus le week-end, sacrifier sa vie privée et familiale, être capable de s’absenter, etc. Une carrière se construit comme ça. Ce qui est difficile pour une femme ce sont ces sacrifices qui ne sont ni naturels, ni évidents d’un point de vue sociétal, à la différence d’un homme. Les carrières et les responsabilités sont exigeantes, en temps, en abnégation, en préoccupations. Et il faut pouvoir assumer », ajoute Isabelle Guyomarch.

Dans un système industriel historiquement instauré et régi par les hommes, les femmes se heurtent donc encore à des sacrifices qu’elles ne souhaitent pas nécessairement faire. Pourtant, le modèle entrepreneurial change progressivement sous l’impulsion de générations plus souples envers l’équité.

Reste la notion des préférences de genres. « Je pense que le monde de l’industrie n’attire pas d’emblée les femmes qui vont préférer se diriger vers quelque chose de plus créatif. Oui, il y a une évolution, mais nous avons un vivier qui est moins important en termes de femmes que d’hommes, parce que les femmes n’y vont pas par goût », pense Aude de Livonnière. « On peut se poser la question de quelles femmes ont envie d’être à la tête d’un entreprise industrielle ? », confirme Priscille Caucé. De plus, ici comme ailleurs, les femmes seraient les premières victimes de leur propre manque de confiance en elles. « Pour faire avancer la cause en général, il y a une action à mener des deux côtés. Les hommes, qui doivent être les promoteurs du mouvement, et les femmes qui doivent oser », assure Priscille Caucé. « En général, un homme sait mieux se vendre qu’une femme. Il ose, il se trouve légitime d’emblée. Alors qu’une femme va avoir tendance à douter, à vouloir faire ses preuves avant d’oser demander. Cela peut être un frein à une évolution de carrière », note la dirigeante de Livcer.

La parité à tout prix ?

De concert, toutes confirment que pour évoluer, l’industrie cosmétique a tout à gagner d’un environnement managérial plus féminin. « Cette capacité qu’ont les femmes de devoir composer avec leur féminité, avec la maternité, donne des dirigeantes avec un autre mode managérial souvent plus bienveillant. Barack Obama disait que si chaque État était dirigé pendant dix ans par une femme, il y a aurait une véritable évolution des sociétés », déclare Isabelle Guyomarch, créatrice entre autre, de la marque de dermo-cosmétiques Ozalys, dédiée aux femmes touchées par le cancer du sein.

Pour autant, l’idée de quotas imposés ne doit pas primer sur la reconnaissance des capacités. « C’est tout le risque lorsque l’on parle d’équité, c’est que cela se retourne dans l’autre sens, qu’on ne fasse plus assez attention au mérite. Par exemple, la nomination de Sue Y. Nabi à la tête de Coty n’est pas un coup de pub comme j’ai pu l’entendre, mais réellement la reconnaissance de grandes compétences », déclare Aïmara Coupet. « La parité dans les conseils d’administration a lancé un mouvement dans les grandes entreprises, une certaine dose de contrainte est nécessaire car les lignes sont lentes à bouger. Mais je ne veux pas que le succès professionnel d’une femme soit lié à une loi qui a été votée, il doit l’être à ses capacités », assure Priscille Caucé.

Dans le monde d’après

On l’aura compris l’achèvement d’une véritable diversité, quelle qu’elle soit, reste en suspens dans l’industrie de la beauté française. « Il y a des envies mais pas encore de réalités », pour Aïmara Coupet. « Il y a une aspiration à la progression, mais on n’y est pas encore », note Isabelle Guyomarch. « Le constat est optimiste mais le chemin est encore long », pour Priscille Caucé. « C’est encore très stéréotypé », selon Aude de Livonnière.

Sans désigner de responsables autres que les codes de l’industrie et des mentalités ancrées de part et d’autre, les dirigeantes interrogées font néanmoins le vœu d’une situation à faire progresser plus rapidement. Mais qu’en pensent les hommes ?