Mona Chollet

Premium Beauty News - Vous montrez, tout au long de votre essai, comment le rapport des femmes à la beauté est ambivalent. Il devrait être plaisir, il est souvent souffrance.

Mona Chollet - Quand il s’agit de beauté, la plupart des femmes ont une attitude ambivalente. Bien sûr, certaines ne se posent pas trop de questions au sujet de leur apparence. Mais, parmi toutes celles pour lesquelles c’est une préoccupation importante, beaucoup s’interrogent. Elles ont envie d’être belles et séduisantes, et en soi, cela ne pose aucun problème, au contraire, c’est même positif ! Mais cette préoccupation s’accompagne d’une grande frustration, liée à une insatisfaction permanente. On n’est jamais suffisamment belle, ou suffisamment mince, à ses propres yeux. Pourquoi ce qui devrait être une source de plaisir, de frivolité et de légèreté devient-il une source d’angoisse et de souffrance ? C’est tout le sujet de Beauté Fatale [1].

Soigner son apparence, essayer d’avoir une présence agréable, dans l’idéal, cela traduit un souci d’autrui, une forme de politesse, d’attention portée à son entourage. D’ailleurs, les femmes reprochent parfois aux hommes de ne pas assez penser au spectacle qu’ils offrent ! Ce qui est aliénant, ce n’est pas de vouloir être belle : c’est que cela devienne le plus important, l’essentiel, que cela prenne toute la place et qu’on fasse dépendre son identité et son estime de soi de cela. C’est ce qui génère cette impression de déchéance si on ne parvient pas à son but. Un sentiment d’autant plus fréquent que les critères de la beauté idéale semblent de plus en plus stricts et, de fait, inatteignables.

Premium Beauty News - Cette aliénation, vous dites que c’est aussi un atout, une compétence dont beaucoup d’hommes sont privés.

Mona Chollet - C’est difficile à dire. Le souci esthétique est en soi plutôt positif, mais il fait partie de ces valeurs positives en soi dans lesquelles les femmes sont cantonnées, enfermées. Ce sur quoi insiste le discours féministe, à juste titre je pense, c’est d’abord l’enfermement !

Il n’empêche que, dans le cadre cet enfermement, les femmes ont développé des compétences particulières. Quand on apprend très tôt à prendre soin de soi et de son environnement, mais aussi à développer sa sensibilité et ses centres d’intérêt dans certaines directions plutôt que dans d’autres, on développe des compétences différentes de celles des hommes. Entendons-nous bien, tout cela n’a rien d’inné, c’est le simple fruit de l’éducation, de la transmission. La grande force de l’industrie de la mode ou de celle des cosmétiques, tout comme des magazines féminins, c’est de prendre cette « culture féminine » au sérieux.

Premium Beauty News - Comment analysez-vous dans ce cadre la percée des cosmétiques pour hommes ?

Mona Chollet - J’ai l’impression que la volonté de développer le marché des cosmétiques du côté des hommes se heurte à de nombreux obstacles. Beaucoup d’hommes semblent encore peu perméables au discours des marques.

Quant il s’agit de leur apparence, les femmes sont dans une situation d’insécurité psychique qui ne me paraît pas avoir d’équivalent chez les hommes. Quand on observe, par exemple, les usages de la chirurgie esthétique, qui reste une pratique majoritairement féminine, on s’aperçoit que les hommes ont une approche beaucoup plus distante, plus technique que les femmes. Celles-ci abordent la chirurgie esthétique comme une question nettement plus intime, comme un véritable enjeu personnel, existentiel.

Dans notre société, c’est d’abord aux femmes qu’il incombe d’incarner la beauté. Même si la pression augmente sur les hommes, elle est loin d’être au niveau de celle qui pèse sur les femmes. Et puis, comme dans le même temps la pression se renforce aussi sur ces dernières, l’écart perdure !

Premium Beauty News - Vous insistez beaucoup sur l’obsession de la minceur et sur la multiplication des problèmes d’anorexie. N’y a-t-il pas une contradiction entre cette obsession et le désir de séduire ? Pour beaucoup d’hommes une minceur extrême n’est pas très séduisante.

Mona Chollet - Si l’on se réfère aux théories des féministes américaines, cette obsession de la minceur prend naissance quand les femmes commencent à sortir de leur place traditionnelle et à entrer dans le domaine des hommes. En bref, quand elles quittent le foyer pour investir les lieux du travail salarié. Il s’agit pour elles de se conformer à une image d’efficacité professionnelle, forgée par des hommes, et qui dévalorise la femme au foyer, la femme maternante. À cela se mêle, je crois, une part de culpabilité féminine, de sentiment de ne pas être à sa place, et aussi, une certaine agressivité par rapport au corps féminin.

Premium Beauty News - Vous évoquez à la fin de votre ouvrage une conception plus large de la beauté qui pourrait réconcilier beaucoup de femmes avec elles-mêmes.

Mona Chollet - Il me semble que l’image que nous nous faisons de la beauté est très naïve. En somme, elle se résume à une série de critères physiques idéaux dont il faut se rapprocher le plus possible. C’est assez bien résumé par le fétichisme des mensurations. Tout cela fait fi de la réalité des rapports de séduction, des multiples façons d’habiter un corps.

Souvent on réduit mon discours à une opposition simpliste entre « beauté intérieure » et « beauté extérieure ». Or ce que je veux dire, c’est que la frontière entre l’apparence et le psychique est beaucoup plus floue qu’on ne le pense généralement. La beauté, c’est bien évidemment l’aspect extérieur, mais aussi la façon dont on s’exprime avec son corps, dont on interagit avec les autres. Il n’y a pas de joie dans la perfection et il est bien plus désirable d’être fantastique que parfaite !