Le travail de reformulation fait partie intégrante du métier de parfumeur. La première raison est la nécessité d’adapter les fragrances aux variations de disponibilité des matières premières. Aux restrictions réglementaires, notamment en Europe, s’ajoutent « des pénuries d’ingrédients, naturels ou synthétiques, pour des raisons climatiques, géographiques, ou de fermetures d’usines par exemple », explique Suzy Le Helley, parfumeur chez Symrise.

Formée au sein du pôle technique de reformulation de cette maison de composition, elle a appris à compléter le travail de reformulation par la recherche documentaire et l’analyse olfactive. C’est une expérience exigeante, notamment pour les parfums anciens, « dont les amateurs connaissent la moindre note par cœur ».

L’exercice peut être particulièrement complexe avec les Bases de Laire, dont certaines matières sont aujourd’hui interdites. Pour ces assemblages très utiles au travail du parfumeur, le rendu olfactif peut être très délicat à reproduire. « Mon plus grand défi a été de retravailler une “formule à tiroirs” des années 1950, comprenant plusieurs bases de Laire, soit près de 500 matières premières. Un travail colossal qui m’a pris plus d’une année », se souvient la jeune femme.

Pour autant, les parfums récents, qu’il faut aussi ajuster à l’évolution des normes IFRA, représentent aussi un challenge. « À l’image des formules courtes, lisibles, de Jean-Claude Ellena, Michel Almairac ou Maurice Roucel, où chaque ingrédient est à sa place. Un travail délicat, très précis, de substitution ». La phase d’évaporation sur peau, essentielle, requiert elle aussi beaucoup d’attention et de créativité.

Renaissance de parfums anciens

La reformulation de parfums anciens, sans archives, est un autre enjeu. La renaissance de marques anciennes (Teo cabanel, Jovoy, Houbigant, Lubin, Le Galion ou, plus récemment, Marcelle Dormoy, Maison Violet, Cherigan, Bienaimé) a amplifié le phénomène, même si certaines d’entre-elles avaient pu conserver leur mémoire.

Un défi auquel s’est récemment confronté Cinquième Sens. « Nous avons dû recomposer un parfum des années 1930 à partir d’un échantillon des années 1950, sans disposer de la formule originale », explique le parfumeur Alice Dattée. Si la chromatographie est une aide précieuse, elle ne suffit pas. « L’échantillon étant ancien, les notes de tête s’étaient évaporées », explique-t-elle.

Un jeu d’équilibriste pour harmoniser l’envolée avec le cœur et le fond. Un travail de longue haleine, qui mêle analyse olfactive, culture et stratégie. Une fois n’est pas coutume, les directives de l’IFRA ont été favorables aux parfumeurs. « Avec l’IFRA 48, le dosage en coumarine n’aurait pas été viable, là où l’IFRA 49 a permis de positionner le parfum comme mixte pour bénéficier de normes plus souples ».

Le plus difficile, pour ces parfums anciens, consiste à retranscrire l’effet des muscs nitrés, à l’aide des ingrédients actuels, conviennent Alice Dattée et Suzy Le Helley. Un autre problème majeur tient à l’emploi de naturels devenus aujourd’hui très coûteux, dont il faut parfois réduire le dosage. « Reste ensuite à s’approcher au plus près de l’esprit de l’original tout en restant au goût du jour », analyse Alice Dattée.

« La reformulation de parfums anciens, disparus, relève presque de l’improvisation », renchérit Patrice Revillard, du Laboratoire Maelstrom. Le parfumeur a remporté le concours lancé par Panouge pour recréer L’Iris Gris de Jacques Fath (1947), une fragrance devenue mythique.

« Il était complexe de s’approcher au plus près de la version originale, alors qu’on connaît le parfum à partir d’exemplaires vintages, qui ont évolué et macéré dans le temps », explique Patrice Revillard. Sans la formule originale, il a travaillé à partir de la version conservée par l’Osmothèque, et enrichi son analyse olfactive à l’aide de vintages bien préservés.

Le problème majeur résidait dans l’emploi de la note eugénol dont l’usage est très limité par les directives européennes. « C’est pourquoi notre formule est un peu moins épicée, moins oeillet, que l’originale », note Patrice Revillard. « Heureusement, L’Iris Gris étant assez moderne dans l’écriture, nous n’avons pas eu à remplacer des notes telles que les muscs nitrés, le lilial ou la mousse de chêne ».

Un travail d’illusionniste, qui consiste à réinterpréter le parfum plutôt que de reproduire techniquement la formule. « Nous avons eu la chance de travailler sans limite de budget, car les naturels de l’époque sont devenus très coûteux », précise Patrice Revillard, qui devra pourtant prochainement relever le défi de travailler avec un budget plus contraint, puisque Panouge souhaite lancer une version plus accessible de L’Iris Gris.

Mais puisque, dit-on, la contrainte est source de créativité…