Dès le début des années 2000, la croissance de la parfumerie de niche a favorisé le retour sur le marché d’anciennes maisons françaises, disparues dans le sillage de la crise économique de 1929 et de la Seconde Guerre Mondiale. La plupart de ces belles endormies sont des maisons ayant eu leur heure de gloire sous l’Ancien Régime ou à l’âge d’or de la parfumerie moderne, avant de sombrer ou de tomber dans l’oubli après les Années Folles. À l’aube du troisième millénaire, des entrepreneurs parviennent ainsi à leur donner un second souffle en se ralliant à une quête de confidentialité et d’artisanat, réel ou mythifié.

Une tendance qui se nourrit notamment d’un besoin d’ancrage et de légitimité, que vient précisément offrir l’histoire d’une maison ancienne, analyse Diane Thalheimer, experte en parfums et fondatrice du cabinet de conseil Red Berry. « Il est plus facile de lancer une marque à partir d’une base, que de partir d’une page blanche ». Et puis, le rétro a le vent en poupe, véhiculant un message rassurant. Mais pour que le succès soit au rendez-vous, il faut qu’il y ait une cohérence entre le discours et l’olfactif. « À l’image de Santa Maria Novella, où le design et les parfums épousent totalement l’ADN de cette ancienne maison florentine ». Des créations signées, un style léché, en phase avec l’esprit de la marque.

Pionnière de ce mouvement, la maison Lubin est sans doute l’une des plus reconnues aujourd’hui. Son créateur, Pierre-François Lubin, devint Parfumeur de la Cour Royale Française en 1815 et reste prospère jusqu’à l’après-guerre. Mais en 2003, c’est une marque sur le point de disparaître que Gilles Thévenin rachète à la société Mülhens. Si l’activité se relance doucement à partir de 2005, la marque a depuis largement étoffé sa gamme (rééditions, nouveautés) et ouvert sa propre boutique dans le quartier de Saint-Germain des Prés à Paris.

On pense aussi à Teo Cabanel, petite maison née à l’aube de la parfumerie moderne et favorite de la Duchesse de Windsor dans les années 1930. Tombée en désuétude dans le courant du XXème siècle, elle renaît de ses cendres en 2005. La marque compte aujourd’hui plus d’une dizaine de références aux formules riches et soignées. Autre icône du genre, Houbigant, célèbre maison ayant traversé la Révolution Française, voit son prestige s’effacer dans l’après-guerre, pour décliner dans les années 1980. Elle renaît dans les années 2000, pour s’implanter dans plusieurs adresses prestigieuses de la niche, collaborant avec des parfumeurs de renom tels que Jean-Claude Ellena.

L’ouverture d’adresses spécialisées en parfumerie a amplifié ce phénomène en offrant de la visibilité à ces maisons. La relance par François Hénin de la marque Jovoy, emblématique des années 1920, s’accompagne ainsi de l’ouverture d’une luxueuse boutique permettant au public de (re)découvrir d’anciennes maisons telles qu’Isabey, Lubin, Maison d’Orsay, ou encore Le Galion, une maison fondée en 1936 et rendue célèbre par Paul Vacher, le parfumeur du légendaire Miss Dior, relancée par les soins de Nicolas Chabaud en 2014. Un cadre idéal où ces griffes s’épanouissent mieux que dans un grand magasin où la sélection niche côtoie le sélectif.

Rétros mais connectés

Mais pour les plus jeunes entrants, les places dans les points de vente physiques sont limitées. Ainsi, ces maisons anciennes sont aussi parmi celles qui expérimentent le plus radicalement les codes de la modernité en s’orientant massivement vers le digital, tant pour leur communication que pour leur distribution.

Ainsi, lorsque trois jeunes diplômés de l’École Supérieure du Parfum décident, avec l’aide du parfumeur Nathalie Lorson, de faire renaître la maison Violet, ils font immédiatement le choix de mixer circuit classique et vente en ligne. Leur collection varie aussi les genres, entre inspirations d’anciennes formules retravaillées avec une palette d’ingrédients actuelle, et, plus récemment, des éditions limitées au style moderne, lancées en crowdfunding.

Même choix pour Marcelle Dormoy, une maison dont l’histoire s’écrit au début des années 1920. Créée par une couturière indépendante, dont les créations se sont étendues au parfum, la marque s’éteint à l’après-guerre faute de repreneurs. Elle est finalement sortie de l’oubli par Louise du Bessey, séduite par le féminisme avant-gardiste de la créatrice, qui relance la marque avec trois nouvelles fragrances signées Karine Chevalier. Dès le départ, Louise du Bessey mise sur le digital, où « les petits jouissent d’une plus grande proximité avec le public ». Un choix également motivé par le constat d’une « perte de vitesse de la distribution classique, où les millennials ne se reconnaissent plus et où les rayons sont inadaptés aux petites marques ».

Si l’option de la vente en ligne a réussi à des concepts nouveaux comme Sillages Paris, entièrement imaginés autour de ce circuit de distribution, le pari peut sembler plus audacieux pour des marques capitalisant sur leur ancrage dans le passé. Paradoxalement, il pourrait être moins risqué que celui de la distribution traditionnelle, notamment grâce à la perspective d’une meilleure marge, afin de pouvoir « proposer un parfum qualitatif à un prix accessible », explique Louise du Bessey. Par ailleurs, le jeu des réseaux sociaux offre finalement plus de chances aux petits acteurs que celui des circuits classiques.

Confidentialité, belles matières, quête de sens, originalité et distribution alternative sont les principaux moteurs du souffle retrouvé de ces maisons qui peuvent piocher dans leur patrimoine pour leurs créations et leur storytelling, tout en actionnant les différents outils de la modernité.