L’enthousiasme de la reprise de la consommation des produits de beauté masque des tensions qui poussent les principaux acteurs du marché à la prudence. Partout dans le monde, les coûts de production ont grimpé en flèche au cours des derniers mois, alors qu’ils avaient peu reculé en 2020. En cause : l’augmentation du prix de l’énergie, des matières premières, du transport maritime, ainsi que différents goulots d’étranglement qui rendent difficiles ou chers certains approvisionnements.

Très énergivore, l’industrie verrière est frappée de plein fouet. Simone Baratta, directeur de la Business Unit Prestige Perfumes du verrier italien Bormioli Luigi estime considérable la hausse des coûts de production par rapport au début de l’année 2021, principalement du fait de l’explosion du prix du gaz et de l’énergie en général. Il craint que cette hausse se poursuive en 2022. Du jamais vu depuis le choc pétrolier d’octobre 1974 !

« Tout a augmenté ! L’énergie bien sûr, mais aussi tout ce qui est nécessaire à la production : matières premières, palettes, cartons, transport, … », confirme Étienne Gruyez, CEO de Stoelzle Masnières Parfumerie.

Intense reprise de la production

Pour l’industrie verrière du flaconnage de luxe, cette flambée des coûts s’inscrit dans un contexte de forte augmentation des volumes de production.

« Nous constatons une augmentation de l’activité avec un retour à des niveaux pré-Covid », note Thomas Riou, CEO de Verescence. « Pour autant, nous considérons qu’il faut rester prudents. Le marché, cassé pendant deux années n’est pas encore stabilisé à ce stade ».

Pour faire face à cette hausse de la demande, le Groupe Pochet a redémarré un four - mis à l’arrêt pendant la pandémie - et « embauché et formé du personnel », note Éric Lafargue, directeur commercial du flaconnage au sein du groupe Pochet du Courval, « alors que nous n’avons pas de certitudes » sur le maintien de ce haut niveau de demande à long terme.

La question est donc de savoir quelle part de ces coûts sera absorbée par les marges des différents acteurs de la filière et si une partie sera répercutée sur les prix de vente. Du côté des verriers interrogés par Premium Beauty News, la réponse est unanime : la hausse des volumes ne suffit pas à compenser la hausse des coûts de production et la filière est aujourd’hui en danger. La majorité affirme donc avoir engagé des négociations avec les clients pour obtenir une adaptation des prix d’achat.

Érosion des marges

« Aujourd’hui nos marges sont fortement érodées. Les verriers ont perdu beaucoup d’argent pendant la crise, et nous pensions pouvoir nous rétablir grâce au retour des volumes au moment de la reprise. Nous constatons que la reprise est là, mais pas la rentabilité », souligne Étienne Gruyez.

« La situation est très critique après une année 2020 pénalisante avec des frais fixes importants », confirme Thomas Riou.

L’analyse est identique de l’autre côté du Rhin ou des Alpes.

Pour Rudolf Wurm, directeur des ventes du verrier allemand Heinz Glas, l’industrie est entrée dans « une situation complexe qui met sérieusement en péril nos marges ».

« Le paradigme selon lequel la croissance des volumes pourrait suffire à compenser la hausse des coûts ne fonctionne plus du tout. Nous avons besoin de générer des marges, avec l’aide du marché, si on veut garder la même qualité de service et de produits », explique Simone Baratta, pour Bormioli Luigi.

Ce changement brutal et imprévu des conditions de production mobilise les industriels qui, pour la plupart, ont d’ores et déjà lancé des programmes de réduction des coûts, tout en alertant leurs clients sur les risques de pérennité de la filière. Agilité, portage des stocks, économies d’énergies, préservation du tissu d’entreprises périphériques, les grands acteurs ont mis en place différents plans d’actions.

« Notre première priorité est de protéger les TPE/PME qui dépendent de nous. Ces petites entreprises sont indispensables dans l’écosystème », déclare Thomas Riou pour Verescence.

Répercuter les coûts pour préserver le tissu industriel

Si chacun optimise ses bases de fonctionnement, la crise ne sera surmontée que par des négociations prenant en cause les spécificités de la filière verrière. Révision des tarifs, refonte de la politique de stockage et prise en compte des délais conjoncturels, ou tout cela à la fois : chaque verrier a ses priorités, mais tous négocient.

« Nous avons renforcé nos échanges avec nos clients pour optimiser nos capacités et contrôler nos stocks. Nous négocions également avec nos clients des accords pour répercuter tout ou partie des fortes augmentations de coûts d’énergie, des matières premières, etc. », assure Éric Lafargue.

Si la démarche demande clarté et pédagogie, une issue consensuelle apparaît indispensable pour l’avenir de la filière.

« Dans certains cas, lorsque nous faisons face à un refus de hausse de prix, malgré les éléments détaillés que nous avons soumis, nous pourrions être conduits à refuser de produire car ça ne passerait plus en termes de rentabilité », explique Étienne Gruyez.

« Nous avons besoin de l’appui de nos clients pour soutenir l’ensemble de la filière. Cette crise a montré à quel point les fournisseurs sont stratégiques dans la chaine de valeurs. C’est tout un écosystème, s’il manque un composant le produit n’est pas complet », insiste Éric Lafargue, pour Pochet.

« Cette situation extraordinaire demande une réponse extraordinaire », déclare Simone Baratta. Le dirigeant de Bormioli Luigi redoute que cette situation vienne « freiner les industriels dans leurs innovations et investissements ».

Les industriels assurent que les augmentations qu’ils estiment nécessaires se traduiraient par une hausse d’une dizaine de centimes, au maximum, si elles étaient répercutées sur le prix du produit final. Mais cette augmentation pourrait être largement absorbée par les marges des marques, dont certaines enchaînent les annonces de profits records. Une situation positive, qui montre la bonne santé de l’industrie, mais qui doit profiter à tous ses acteurs, estiment certains verriers.