Fort d’une balance commerciale largement excédentaire, on pourrait penser le secteur des cosmétiques peu concerné par la question brûlante de la réindustrialisation. Les chiffres publiés pour l’année 2021 montrent, en effet, un rebond particulièrement vigoureux avec des exportations record, un solde positif de 12,9 milliards d’euros, une progression forte aux États-Unis et en Chine. Pourtant, derrière ces données flatteuses, Christophe Masson, le directeur général de la Cosmetic Valley, a pointé une « réalité ambivalente », devant les représentants de la filière, réunis le 21 février dernier, sous la présidence d’Agnès Pannier-Runacher, Ministre déléguée auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, chargée de l’Industrie.

Parts de marché en recul

Malgré un chiffre d’affaires en augmentation porté par les exportations, Christophe Masson souligne que « les parts de marché de l’industrie française des cosmétiques reculent, [que] ses positions en Europe s’effritent et [que] ses concurrents chinois, coréens, taïwanais sont toujours plus ambitieux ».

Si l’industrie française des cosmétiques conserve de solides atouts - notamment un écosystème diversifié et performant de fournisseurs et de laboratoires de recherche, et le prestige du « Fabriqué en France » - les représentants de l’industrie estiment que cela ne suffira pas à long terme face à une concurrence mondiale de plus en plus intense.

Pour conserver son avantage compétitif, la filière cosmétique française devrait ainsi « s’appuyer sur une plus-value scientifique et technologique toujours plus forte, convoquer les sciences dures et relever les défis structurels que portent les transitions écologique et numérique ». Concrètement, cela passe par des investissements massifs sur quatre facteurs clés de succès : les ingrédients, l’innovation, l’environnement et la sécurité des consommateurs.

Stratégie de reconquête

Un fois le constat établi, les membres du Comité de Filière Cosmétique ont cherché à définir, en accord avec les pouvoirs publics, une stratégie de reconquête destinée à s’inscrire dans la durée. Dans la continuité de la première réunion du Comité, en pleine pandémie, puis des « États généraux de la cosmétique » organisés par Cosmetic Valley avec la FEBEA, quatre axes d’actions ont été détaillés :

 renforcer la compétitivité des entreprises françaises de la beauté,
 donner la priorité à l’innovation et à la recherche,
 prendre en compte des nécessités de la transition écologique,
 consolider les positions de la France à l’international.

Pour les membre du Comité, le renforcement de la compétitivité de la filière passe notamment par la poursuite des efforts de relocalisation, qu’il s’agisse des ingrédients ou des emballages. L’objectif étant de sécuriser et de renforcer les achats dans l’Hexagone. Même si 83% des approvisionnements de la filière sont déjà franco-européens, une étude du cabinet PWC, commandée et présentée par la FEBEA, a permis d’identifier des segments d’achats sur lesquels il serait possible de « construire des stratégies de relocalisation ciblées ».

L’importance de cette proximité des approvisionnements pour la solidité et la résilience de la filière a été illustrée par le bilan effectué par Dominique Garnier de Dior Parfums, et Thomas Riou de Verescence, sur les actes concrets qui ont suivi la « Déclaration de solidarité du secteur cosmétique avec le secteur verrier » que l’État avait appelée de ses vœux. Pour éviter d’avoir à supporter, seuls, sur leur trésorerie, le poids des stocks commandés et non écoulés du fait du ralentissement économique brutal lié à la pandémie, les verriers ont reçu en 2020/2021 « un soutien clair des acheteurs de certaines marques ».

D’autres actions pour renforcer le secteur du flaconnage de luxe, stratégique pour les marques de parfums et de cosmétiques ont été évoquées, telles que l’accompagnement, en partenariat public/privé, des changements technologiques destinés à limiter les émissions de GES des installations des verriers, ainsi qu’un soutien à la recherche destiné à assurer la qualité du verre recyclé. Le Comité a émis le souhait que des fours électriques remplacent progressivement les fours à énergie fossile et que la part du verre recyclé dans la production dépasse les 40%. Cet exemple a conduit d’autres fournisseurs, comme les plasturgistes, à demander un élargissement à leur profit de la concertation.

Concernant, le renforcement des capacités d’innovation et de recherche, le CNRS, représenté par Carole Chrétien, a réaffirmé sa volonté de structurer et d’amplifier la recherche française en lien avec la cosmétique et a donc appelé les autorités publiques à le soutenir dans son projet de déposer un programme dédié dans le cadre du 4e Programme d’investissements d’avenir. Jean-Yves Berthon de Greentech a par ailleurs insisté sur la nécessité de poursuivre une dynamique d’innovation interrégionale et inter filières.

En matière de transition écologique, les représentants du Conseil général de l’Environnement et du Développement durable (CGEDD) et du Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies (CGEIET) qui, à la demande de la filière, avaient été missionnés cet été par les ministres de l’industrie et de la transition écologique, publieront leurs recommandations précises dans les prochaines semaines.

Enfin, pour consolider les positions de la France à l’international, la Ministre s’est engagée, non seulement à porter et défendre, à Bruxelles les positions de la filière cosmétique française lors des discussions relatives aux nouveaux règlements européens REACH et Cosmétique (notamment pour le statut des huiles essentielles), mais aussi d’examiner les situations de possibles surrèglementations françaises. Les participants ont également appelé la Ministre à développer une véritable stratégie d’influence à l’international.

Une troisième réunion du Comité devrait se tenir après les élections. Quel que soit le résultat de celles-ci, Cosmetic Valley et FEBEA semblent en tout cas décidées à pérenniser cet outil de dialogue avec les pouvoir publics qui permettra - peut-être - de piloter une véritable politique industrielle.