Près d’un quart (24,8%) des personnes interrogées en France estime que la sécurité des produits vendus en supermarchés est en baisse. Photo : © Robert Kneschke / shutterstock.com

Les dernières semaines ont été agitées pour les industriels de la cosmétique. La sécurité de leurs produits, qui est une obligation réglementaire, a fait l’objet des interpellations les plus diverses : dégradation de la qualité de l’air intérieur, dangers pour les bébés, dangers pour tout le monde...

Les réponses de l’industrie

À chaque fois, l’industrie a consciencieusement répondu. Concernant la qualité de l’air intérieur, la Cosmetic, Toiletry & Perfumery Association (CTPA) a ainsi expliqué que les articles faisant état d’un lien entre les cosmétiques et la dangerosité de la qualité de l’air intérieur étaient basés sur une lecture erronée d’un rapport du Royal College of Physicians and the Royal College of Paediatrics and Child Health. Le rapport souligne que quelques substances, telles que la fumée de cigarette et le monoxyde de carbone constituent de très sérieux dangers. En revanche, bien que les cosmétiques puissent contenir des composés organiques volatils (COV), le rapport explique clairement que : « Même s’il sont très communs dans l’air, leurs effets sanitaires sont généralement mineurs.  »

De même, la Fédération des entreprises de la beauté (FEBEA) a immédiatement répondu à la publication des rapports de Women in Europe for a Common Future (WECF) et de l’UFC-Que Choisir.

Concernant les produits pour bébés, la FEBEA a ainsi rappelé que tous les cosmétiques commercialisés en Europe font l’objet d’une évaluation de la sécurité et que des procédures spécifiques adaptées à leur spécificité sont applicables aux produits destinés aux enfants de moins de trois ans.

Il en est de même pour les matières premières. Lorsqu’une substance potentiellement dangereuse est identifiée, la Commission européenne peut, selon les circonstances, soit l’interdire, soit limiter son usage afin de s’assurer qu’elle ne présente pas de danger telle qu’utilisée. «  Pas question pour les autorités scientifiques que la Réglementation ne soit pas à jour,  » insiste la Fédération.

Depuis plusieurs années, les représentants de l’industrie cosmétique ont d’ailleurs mis en ligne des sites web tentant de répondre aux inquiétudes des consommateurs : ParlonsCosmetiques.com en France, The Facts About Cosmetic Products au Royaume-Uni, et CosmeticsInfo.org aux États-Unis.

À qui profite l’angoisse ?

Mais force est de constater que ces arguments peinent à émerger dans le flot médiatique. On peut imaginer que le point de vue des industriels est a priori disqualifié par les médias en raison du parti pris supposé de l’émetteur. Pourtant, même les mises en perspectives faites par les lanceurs d’alertes eux mêmes, sont peu reprises.

L’UFC-Que Choisir vient ainsi de publier un nouvel article modérant fortement certaines des conclusions qui ont pu être tirées de son précédent rapport (à lire ici). Parions qu’il ne fera pas beaucoup de bruit.

En l’occurrence, c’est la mécanique médiatique qui semble en cause, celle qui dans un calcul économique simple préfère les informations sensationnelles génératrices d’audience (ou de clics) aux enquêtes complexes et coûteuses mais peu impactantes.

Par ailleurs, le comportement des marques de cosmétiques, soucieuses de maximiser leurs ventes, ne contribue pas toujours à clarifier le débat. Lorsque les consommateurs ont commencé à se méfier des parabènes, de nombreuses marques ont indentifié une opportunité commerciale. Soit, comme les marques bio ou naturelles, parce qu’elles n’utilisaient pas ces substances, soit, parce qu’elles ont pu reformuler très rapidement leurs produits. L’absence de parabènes devenant un argument commercial, cela n’a fait que confirmer les doutes des consommateurs. Malgré la faiblesse des études attaquant les parabènes et malgré (ou en raison) des confusions entre les différents types de molécules, les quelques voix tentant de défendre ces substances sont tombées à plat. Aujourd’hui, on trouve parmi les ingrédients mis en cause par les associations de consommateurs, des substances comme le méthylisothiazolinone (MIT) utilisées comme alternatives aux parabènes.

L’histoire se répétant, le discours angoissant sur les pertubateurs endocriniens conduit aujourd’hui à l’apparition sur le marché de cosmétiques s’affirmant « sans perturbateurs endocriniens  » [1].

Et les consommateurs dans tout ça ?

Pour Céline Couteau, Maître de conférences en pharmacie industrielle et cosmétologie, et Laurence Coiffard, Professeur en galénique et cosmétologie à l’Université de Nantes, le problème de tous ces rapports et qu’ils mélangent des choses très différentes. Dans une récente tribune, les deux scientifiques fustigent « une information beaucoup trop alarmiste » et « mélangeant allègrement molécules irritantes, allergisantes et perturbateurs endocriniens. »

Des reproches légitimes concernant l’honnêteté de produits se revendiquant hypoallergéniques, alors qu’ils contiennent des allergènes connus (tels que MCI et MIT), sont ainsi placés aux côtés d’interrogations sur de possibles perturbateurs endocriniens pour lesquels il n’existe pas de consensus scientifique. La confusion rend la réponse des industriels très difficile. « On amalgame tout, on met tout sur le même plan, » précise Céline Couteau à Premium Beauty News. « C’est aussi absurde que de parler d’un marché alimentaire en expliquant qu’il est plein de produits allergènes comme les fraises ou de produits photo-sensibilisants comme le cèleri. »

Au final, le consommateur peut-il tout de même en sortir gagnant ? Rien de moins sûr pour Céline Couteau. «  Il me semble important dans l’intérêt du consommateur de ne pas crier au loup sans cesse. Cela peut conduire à supprimer des molécules dont on sait qu’elles ne sont pas parfaites mais dont on connaît bien le spectre. Le risque étant qu’elles soient remplacées par des substances en apparence moins problématiques simplement parce qu’on ne dispose pas d’autant d’informations à leur sujet. »

En fait, les consommateurs semblent plutôt perplexes. Selon un tout récent sondage réalisé par Toluna pour le magazine Challenges, près d’un quart (24,8%) des personnes interrogées en France estime que la sécurité des produits vendus en supermarchés est en baisse, mais la moitié estime qu’elle reste stable et 18,8% qu’elle s’améliore ! « Ces scandales renforcent la méfiance des consommateurs les plus pessimistes vis-à-vis des produits, » explique Philippe Guilbert, directeur général de Toluna, à Premium Beauty News. « On constate aussi que les labels continuent à fortement rassurer les consommateurs, même s’ils sont parfois pris en défaut. »

Quelles conclusions tirer de tout cela ? On peut certes noter le paradoxe qui consiste à voir les alertes se multiplier dans un contexte réglementaire pourtant de plus en plus contraignant. Mais on doit admettre que l’exigence de sécurité est de plus en plus forte et que la succession des scandales, même dans des secteurs éloignés de la cosmétique - comme la pharmacie ou l’alimentaire, tend à accroitre la méfiance des consommateurs vis-à-vis de l’industrie en général. La tendance vers toujours plus de naturel devrait s’accentuer, même si les cosmétiques naturels et biologiques sont loin d’être exempts de tout reproche. Toutefois, les consommateurs ne paniquent pas, ils se méfient, mais restent mesurés dans leurs conclusions.

L’un des enjeux sera aussi de permettre l’émergence de voix indépendantes et expertes capables de traduire auprès du grand public un discours technique complexe, nuancé et argumenté. De ce point de vue, les médias sociaux et le web en général ne doivent pas être perçus uniquement comme des dangers. Nombreux sont les blogueurs et vlogueurs doués, capables de créer des passerelles entre consommateurs et scientifiques. À noter à ce sujet l’intéressant post de Capucine Piot, de Babillages ou celui de Sophie Strobel, du blog (dé)maquillages.