Isabelle Ossey Mananga, présidente de l’association Label Beauté Noire

Premium Beauty News - Pourquoi une association consacrée aux produits cosmétiques destinés à populations noires et métisses ?

Isabelle Ossey Mananga - Parce qu’il y a un vrai besoin d’information en France : information des consommateurs, information des pouvoirs publics, mais aussi des professionnels du secteur cosmétique, de plus en plus intéressés par ce segment du marché, qu’ils ne comprennent pas toujours très bien. Label Beauté Noire collabore avec des dermatologues spécialistes de la peau noire, des pharmaciens et des psychologues. Nous effectuons des actions de prévention et d’information partout en France. Nous menons aussi des actions visant à alerter l’opinion publique sur les dangers de certains produits.

Nous avons réussi à sensibiliser les pouvoirs publics sur la nécessité de campagnes d’information des consommateurs et sur un meilleur contrôle du marché, alors que pendant des années nous faisions face à une totale indifférence vis-à-vis de ces sujets.

Mais l’information n’est pas notre seul objectif. Notre association, créée en 2004, est une association de consommateurs mais elle s’intéresse aussi aux produits eux-mêmes. Nous voulons responsabiliser tous les acteurs de la filière : les fabricants comme les distributeurs. C’est pourquoi nous travaillons à un label de qualité, qui permettra aux fabricants engagés pour apporter un bénéfice supplémentaire en matière éthique de valoriser leurs efforts.

Premium Beauty News - À quoi va servir un tel label alors que tous les produits cosmétiques vendus en France et en Europe sont soumis à la même réglementation qui garantit notamment leur innocuité ?

Isabelle Ossey Mananga - Tout cela, c’est vrai en théorie. Mais les pratiques que l’on observe sont assez différentes de cette fiction juridique. Si tous les produits disponibles sur le marché français étaient vraiment sans danger, les pouvoirs publics n’auraient pas éprouver le besoin de mettre en garde les consommateurs sur les risques liés aux pratiques de dépigmentation volontaire de la peau. [1]

Il faut comprendre que pendant longtemps ce segment du marché, perçu comme une niche, n’a pas intéressé les géants européens de l’industrie des cosmétiques. Les produits n’étaient disponibles que dans des quartiers tels que celui de Barbès ou de Château d’Eau à Paris. Il s’agissait souvent d’importations parallèles de produits américains, ou africains, qui dans certains cas n’étaient pas conformes aux réglementations européennes.

En 2009 et 2010, les autorités françaises, ont procédé à une campagne nationale de contrôle du marché. Les analyses effectuées sur plus de 160 produits ont mis en évidence des proportions élevées de produits non conformes à la réglementation avec la présence de substances interdites mettant en danger la santé des consommateurs dans environ 30 % des cas en 2009 et 40 % des cas en 2010. La DGCCRF a engagé des procédures contentieuses pour infractions aux règles de composition et/ou d’étiquetage et procédé à des retraits de produits chez les distributeurs.

Premium Beauty News - La situation n’a pas évolué depuis ?

Isabelle Ossey Mananga - C’est un marché qui évolue très rapidement car il intéresse de plus en plus les industriels. Longtemps considéré comme un marché de niche, il est de plus en plus perçu comme un vecteur de croissance pour les marques. Aujourd’hui, l’offre de produits est beaucoup plus variée. Mais les circuits parallèles n’ont pas disparu, les ventes par internet de produits non conformes à la réglementation non plus. Des médicaments sont encore détournés de leur usage initial à des fins cosmétiques.

Les consommateurs ont du mal à faire la différence entre les produits. Notre travail d’éducation et d’alerte consiste à les orienter vers des gammes cosmétiques généralistes ou spécialisées reconnues, à les aider à éviter le mauvais usage des produits, et les détourner des produits illicites contenant de l’hydroquinone ou des corticoïdes. Le label sera de ce point de vue un indicateur simple et immédiatement compréhensible.

Il faut déghettoïser le marché des cosmétiques pour peaux noires et métisses. Qu’il s’agisse des produits de soin des cheveux, de la peau, ou du maquillage. En éduquant les consommateurs, sans les stigmatiser, en valorisant les produits de qualité.

Premium Beauty News - Comment envisagez-vous le fonctionnement de ce label ?

Isabelle Ossey Mananga - Les marques intéressées devront adhérer à une charte de qualité qui imposera des engagements en matière de qualité et de traçabilité des produits et qui les obligera à accepter des contrôles. Toutes les catégories de produits seront concernées : soins pour la peau, soins pour les cheveux, maquillage.

Premium Beauty News - Les enjeux sanitaires ne sont toutefois pas identiques pour toutes les catégories de produits. Le souci vient surtout des produits éclaircissants de la peau ?

Isabelle Ossey Mananga - Au-delà de l’aspect sanitaire il y a des enjeux beaucoup plus généraux. On peut notamment s’interroger sur le modèle de beauté prédominant. Mais tout cela évolue très vite. Le métissage croissant des sociétés, la mondialisation, la progression du pouvoir d’achat des enfants et des petits-enfants d’immigrés, tout cela favorise l’explosion d’un marché que les marques n’ignorent plus même si elles ont encore du mal à bien répondre aux attentes spécifiques d’une clientèle sur-consommatrice mais exigeante. Prenez par exemple le cas du maquillage. Les études ont montré qu’il existe 12 teintes de peaux dites caucasiennes contre 35 pour les peaux noires et métissées. C’est un enjeu énorme en terme de développement de produits, notamment dans le domaine du maquillage. Et rares sont les marques à répondre à ce besoin. Plus les consommatrices trouveront facilement une offre adaptée et accessible répondant à leurs besoins, moins elles seront tentées de se tourner vers le marché parallèle.

Isabelle Ossey Mananga interviendra sur le thème « Enjeux qualité, sécurité et éthique sur le marché des produits pour peaux foncées » le 21 juin à 11h.30 dans le cadre du salon MakeUp in Paris. Elle présentera le marché du maquillage des peaux noires, «  un savoir-faire très particulier, mais une distribution qui se cherche encore  » ainsi que les activités de l’association Label Beauté Noire.