Valérie de Robillard

Premium Beauty News – Si l’on en juge par le nombre de démarches engagées par les industriels du secteur, il semble que la question du sourcing éthique se pose avec une acuité toute particulière pour les produits cosmétiques. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Valérie de Robillard - Comme beaucoup d’autres secteurs, mais avec une intensité probablement plus forte, liée au fait que les produits sont en contact intime avec le corps et appliqués sur la peau dont la perméabilité est désormais reconnue, les marques de cosmétiques, doivent répondre à de nombreuses demandes de la part des consommateurs : sur l’absence d’ingrédients controversés dans les formules, pour des produits plus « naturels » et davantage de traçabilité.

Il ne faut jamais oublier qu’une entreprise, surtout quand ses produits jouissent d’une certaine notoriété, est sous le regard du public et des organisations militantes : il y a un véritable risque à être pris en défaut du fait de son propre comportement ou de celui de ses fournisseurs en matière environnementale ou sociale (travail des enfants, droits de l’Homme, etc.).

Et puis, il y a la pression du marché, avec une multiplication d’offres alternatives. Le marché français des cosmétiques bio pèse aujourd’hui environ 350 millions d’euros. Et avec l’entrée des marques de distributeurs et de marques historiques, il devrait continuer à croître, certes à un rythme un peu moins soutenu, pour atteindre 500 millions d’euros en 2015.

Premium Beauty News - En fait les pressions se multiplient ?

Valérie de Robillard - Oui, d’autant qu’il faut encore ajouter, la pression des réglementations. Je pense notamment à REACH, à la directive européenne interdisant les tests sur animaux, mais aussi au Protocole de Nagoya adopté en octobre 2011 et qui concerne l’accès et le partage des avantages liés à l’utilisation des ressources génétiques.

Je crois aussi que le mouvement de labellisation / certification des ingrédients et des produits finis contribue lui aussi à augmenter la pression en imposant un certain niveau de performance.

Premium Beauty News - Quelles sont les solutions dont dispose l’industrie en matière d’achats responsables ?

Valérie de Robillard - Elles passent par la mise en place de filières d’approvisionnement cohérentes, complètes et bien maîtrisées. Tout l’enjeu est de trouver des alternatives crédibles et satisfaisantes. Crédible sur le plan du principe de précaution, et de ce point de vue il y a toujours un risque de remplacer un produit controversé par un ou des produits qui s’avèrent tout aussi problématiques, on le voit avec les parabènes ou avec le remplacement de l’huile de palme par l’huile de soja, qui ne contribue pas moins à la déforestation, mais déplace le problème de l’Indonésie à l’Amérique Latine. On ne peut pas se contenter de simplement déplacer le problème.

En plus d’être crédibles, les alternatives doivent aussi être satisfaisantes en termes de coût, de disponibilité et d’efficacité. C’est d’ailleurs le problème avec les produits naturels ou biologiques qui sont souvent jugés plus chers et moins efficaces par les consommateurs, désormais habitués à des textures, des parfums, une sensorialité et une galénique que les produits naturels n’arrivent pas toujours à égaler.

Mettre en place des filières d’approvisionnement plus responsables doit aussi être l’occasion de pérenniser et de sécuriser les approvisionnements. Notamment, pour des matières premières qui sont en concurrence avec l’agroalimentaire (vanille, cacao, avocat, quinoa), en proposant des volumes plus attrayants pour les fournisseurs, ou en se protégeant contre de mauvaises récoltes, des baisses de productivité, les maladies attaquant les plantes. Des filières sécurisées et pérennes, reposant sur des logiques durables (par exemple utilisation d’une partie de la plante qui n’est pas exploitable en alimentaire) et de partenariat facilitent aussi la mise en œuvre de procédures et contrôles pour garantir un niveau de qualité suffisant.

Nous accompagnons et nous aidons les entreprises à ce niveau. Cela passe d’abord par une meilleure connaissance des impacts de la stratégie d’achats notamment sur la biodiversité, sur la disponibilité des ressources, sur les populations locales dans les zones de production – il est notamment possible de cartographier l’exposition de l’entreprise à des risques sociaux ou environnementaux, selon sa stratégie d’achats (nature des matières premières achetées, origine géographique, achat en direct ou via des intermédiaires, etc.) ; puis par une analyse des écarts par rapport aux objectifs des labels et standards externes (Ecocert, Nature et Progrès, BSCI, etc…), l’identification des alternatives produit ou process et leur intégration dans la stratégie. Plus positivement, au-delà de la minimisation des risques, une stratégie achats peut aussi être l’occasion d’avoir des impacts positifs, en intégrant de manière proactive à sa supply chain des entreprises à but social – c’est ce que fait L’Oréal avec sa démarche Solidarity Sourcing ou encore BPCE avec sa démarche PHARE sur le Handicap. Il n’y a pas de recettes toutes faites, chaque cas est particulier et nous sommes généralement amenés, c’est d’ailleurs le but, à co-créer les solutions innovantes avec les parties prenantes, cela peut prendre la forme de dialogues voire de partenariats avec des ONG de terrain par exemple. On peut toutefois s’appuyer sur des outils bien structurés déjà existants, même s’ils sont assez génériques, tels que la norme ISO 26000 sur les achats responsables.