Sur TikTok, le hashtag #dupes a généré pas moins de deux milliards de vues, et au cumul l’ensemble des hashtags dédiés aux dupes de parfums - et ils sont nombreux - dépassent largement les 500 millions de vues, démontrant l’intérêt que portent les utilisateurs à ces imitations.

Au-delà du parfum, ce phénomène existe dans de nombreux secteurs, dont la mode, mais aussi la cosmétique avec des dupes de soins, de maquillage. La pratique de l’imitation à bas coût n’a rien de nouveau, mais elle a pris une ampleur particulière à l’ère des réseaux sociaux où la recherche de « bonnes affaires » est devenue l’un des sports favoris de la Gen Z. Dans le cas du parfum, il s’agit d’identifier une fragrance accessible qui ressemble autant que possible à un grand parfum de luxe. Ce qui n’est souvent pas très difficile, tant la pratique du contretype est commune dans un monde où il est impossible de breveter une odeur.

Le jeu des comparaisons

Sur les réseaux sociaux, les internautes se livrent donc publiquement à un grand jeu de comparaison de fragrances. Selon Stylight, le parfum Baccarat Rouge 540 de Maison Francis Kurkdjian aurait ainsi été rapproché par les utilisateurs de TikTok du parfum Cloud by Ariana Grande, nettement moins cher.

Que des internautes et influenceurs partagent des « bons plans » repérés parmi l’offre pléthorique de parfums ne pose pas vraiment problème. Mais le jeu prend parfois un tour curieux.

On découvre ainsi sur TikTok une foule de vidéos faisant référence à des produits estampillés Zara, Lidl, Action, Primark, ou encore Mango. On apprend ainsi que ’Gardenia’ de Zara serait le dupe de ’Black Opium’ d’Yves Saint Laurent, ou encore que ’Lovely de Suddenly’ de Lidl serait celui de ’J’adore’ de Dior. Hors des réseaux sociaux, les médias, spécialisés et généralistes, reproduisent souvent des listes identiques renvoyant aux mêmes distributeurs, au point qu’il est légitime de se demander si certains rapprochements ne sont pas en partie téléguidés et si la comparaison ne flirte pas dangereusement avec les limites posées par les droits de propriété industrielle et commerciale.

Atteintes au droit des marques

Les dupes, qui ne reprennent pas les dessins et modèles des marques auxquelles ils font référence, et n’imitent pas non plus leurs noms, ne sont pas considérés comme des contrefaçons au sens strict. Pourtant, la pratique peut parfois tomber sous le coup de la loi.

Rappelons qu’en 2014, la justice française avait condamné la société Pin, qui gérait alors le site www.pirate-parfum.fr, pour contrefaçon, considérant que la société ne se référait pas aux marques qu’elle citait pour comparer ses produits, mais pour tirer bénéfice de leur notoriété en s’affranchissant des coûts de conception et de développement marketing que leurs propriétaires avaient supportés pour asseoir leur notoriété.

Sous le nom de dupes, parfums génériques, d’équivalence, ou de correspondance, certaines marques comme Nox, Divain, Eden Perfumes ou Noted Aromas adoptent aujourd’hui des pratiques très proches de celles alors condamnées par la justice française. Mais aucune de ces marques n’est localisée en France et, même au sein de l’Union européenne, la jurisprudence sur ces sujets fluctue d’un pays à l’autre.

Sans compter que le temps judiciaire peut être très long. Récemment, la chaîne espagnole Equivalenza a été condamnée en France à une amende de 400.000 euros — dont 200.000 euros avec sursis — pour contrefaçon de grandes marques de parfum, au terme de près de huit années de procédure !

« Equivalenza a été condamnée pour la diffusion et l’usage de tableaux de concordance. Mais, à ce jour, il n’y a pas le même historique de jurisprudences en matière de dupes », souligne Xavier Guéant, Directeur des Affaires Juridiques de la Fédération des entreprises de la beauté (FEBEA).

« Néanmoins cette nouvelle décision est porteuse d’une forte symbolique. Elle marque un pas important dans la défense du patrimoine immatériel de la parfumerie, et doit faire réfléchir aux pratiques de certains acteurs du secteur. Et nous sommes évidemment très attentifs aux pratiques qui sont aujourd’hui favorisées par l’essor des réseaux sociaux  », ajoute-t-il.

À côté de la comparaison bien informée de beauty addicts en quêtes de bonnes affaires, la pratique des dupes pourrait aussi masquer la réinvention sous un autre nom de pratiques anciennes déjà condamnées par la justice. Dans tous les cas, il est peu probable que les dupes annoncent l’avènement d’une nouvelle façon de consommer le parfum, l’émergence de ce que certains appellent la fast perfumery, tant la pratique est en réalité dépendante de l’innovation et de la créativité des grandes marques.