Alors qu’elle n’est toujours pas inscrite à l’ordre du jour du Sénat, la proposition de loi du député Yvan Lachaud (Nouveau Centre), votée en première lecture par l’Assemblée nationale et visant à interdire l’utilisation des phtalates, des parabènes et des alkylphénols dans les biens de consommation, continue à susciter des remous en France et en Europe.

L’industrie cosmétique partagée

Si, au lendemain du vote, l’Union des industries chimiques (UIC) exprimait sa « plus totale incompréhension », et la filière des plastifiants, représentée par l’ECPI (Conseil européen des Plastifiants et Intermédiaires), pointait une proposition «  injustifiée scientifiquement et inapplicable en pratique » et soulevant «  plus de difficultés qu’elle n’apporte de solutions », les représentants de l’industrie des cosmétiques se sont montrés beaucoup plus prudents dans leurs réactions.

Ainsi, à ce jour, la Fédération des entreprises de la beauté (FÉBÉA) n’a publié aucune prise de position sur le sujet, se contentant de relayer, sur le site ParlonsCosmetiques.com, une interview de Marc Mortureux, Directeur Général de l’Anses [1] soulignant que «  les niveaux d’exposition à ces substances et les risques qu’elles peuvent représenter sont très contrastés. »

Même discrétion du côté de l’association européenne des cosmétiques, le Colipa, qui n’a publié aucun communiqué sur le sujet. « Tous les ingrédients, y compris les parabènes, sont étudiés par des experts de haut niveau. Les limites d’usage recommandées par le SCCS (le Comité scientifique de sécurité des consommateurs, qui conseille la Commission européenne) dans sa dernière opinion sur la sécurité des parabènes dans les produits cosmétiques [2], reflète dans une grande mesure la pratique actuelle en matière de produits cosmétiques sur le marché de l’Union européenne, » nous a toutefois précisé Bertil Heerink, le Directeur général du Colipa.

L’organisation qui représente les industriels auprès des autorités européennes a toutefois alerté la Commission, via la Direction générale pour la Santé et les Consommateurs, sur l’incompatibilité de la proposition de loi Lachaud avec les règles européennes.

Mais c’est probablement avec la prise de position de COSMED, l’association des PME françaises de la filière cosmétique, que l’embarras de l’industrie cosmétique apparaît le plus visible. Dans un long communiqué publié sur son site, COSMED s’inquiète d’une proposition de loi qui porte «  un préjudice immédiat à la filière cosmétique » mais estime par ailleurs qu’elle « peut être considérée comme visionnaire ». En fait, l’association prend acte des doutes des consommateurs, et estime que la seule expertise scientifique ne permettra pas de les lever. « Malgré ses défauts et en envisageant même son éventuel retrait, cette proposition de loi va clairement jouer un rôle d’accélérateur dans la recherche de solutions alternatives acceptables par tous, ainsi que dans le nécessaire dialogue à engager avec les consommateurs. »

Au final, COSMED demande du temps : l’association appelle au rejet de la proposition de loi tout en annonçant « un abandon, total ou partiel, des parabènes par la profession elle-même dès lors que des solutions alternatives seront disponibles sur le marché. » En effet, l’abandon des parabènes représenterait un effort considérable et probablement impossible pour la plupart des marques. COSMED remarque ainsi que le succès relatif avec des gammes de cosmétiques sans parabènes provient le plus souvent de produits qui ont été conçus dans cette optique, et bien plus rarement de la reformulation de lignes existantes.

La polémique s’étend aux médicaments

Dans son édition datée du 24 mai 2011, le quotidien Le Monde a indiqué avoir identifié environ 400 médicaments contenant des parabènes et en publié la liste sur son site lemonde.fr. La liste comprend toutes sortes de produits, des crèmes comme la Biafine ; de nombreux sirops contre la toux (Clarix, Codotussyl, Drill, Hexapneumine, Humex, Pectosan, Rhinathiol) ; des pansements gastriques (Maalox, Gaviscon) ; des traitements des troubles du transit intestinal (Motilium) ou des nausées et vomissements (Primpéran) ; les formes en suspension buvable de médicaments cardiovasculaires (Cozaar, Vastarel) ou antibiotiques (Josacine, Zinnat) ; des médicaments contre la douleur et la fièvre (formes génériques d’ibuprofène et de paracétamol) ; les traitements de l’asthénie (Sargenor).

Cette extension du débat au-delà de l’industrie des cosmétiques est-elle susceptible d’en modifier la nature ? C’est possible, car les médicaments n’ont pas le même statut que les produits cosmétiques dans l’esprit des consommateurs ni même dans celui des parlementaires.