Le lancement des premiers produits cosmétiques destinés à lutter contre les effets de la lumière bleue des écrans numériques, qui accélèrerait le vieillissement de la peau en cas de surexposition chronique, s’accompagne d’interrogations sur les bases scientifiques des revendications. Les études d’objectivation manquant de recul en vie réelle.

Exposition croissante

À petite dose, la lumière bleue n’est pas nocive : elle est même utilisée comme thérapie contre des maladies de la peau comme l’acné, l’eczéma ou le psoriasis, voire certaines maladies dentaires, grâce à ses vertus antibactériennes, rappelle la société de conseil en innovation Alcimed.

Les premiers cosmétiques destinés à prévenir les effets nocifs de la lumière bleue des écrans numériques, qui accélèrerait le vieillissement de la peau en cas de surexposition chronique, ont été lancés sur le marché. Photo : © tommaso79 / IStock.com

Cependant, « dans nos sociétés modernes, on est vraiment inondé de lumière bleue, à hauteur de 6 heures par jour en moyenne en France » avec les smartphones, ordinateurs et autres tablettes, souligne Catherine Grillon, chercheuse en biologie de la peau dans un laboratoire du CNRS à Orléans. Or, une exposition forte et chronique à la lumière bleue « peut être délétère » non seulement pour les yeux, mais aussi pour la peau, car elle induit un « stress oxydant » contribuant au vieillissement cutané, selon la chercheuse interrogée par l’AFP.

Poivron rouge et huile de lupin

De nombreux acteurs de la cosmétique s’intéressent au sujet, mais les grands groupes restent « encore timides » sur ce créneau émergent, note Alcimed.

La recherche d’actifs capables de protéger contre cet excès de lumière bleue bât son plein : germes de blé mélangés à de l’huile de lupin, nacres en mica-titane, extraits de poivron rouge, de plantes chinoises ou de la cordillère des Andes... Quand le laboratoire Uriage a commencé à creuser la question en 2014, « il y avait vraiment très peu de choses » sur le sujet dans la littérature scientifique, se rappelle Luc Lefeuvre, directeur de la recherche-développement de la société, interrogé par l’AFP.

Lors de tests sur des modèles de peau in vitro, Uriage s’est aperçu qu’une forte exposition à la lumière bleue pouvait favoriser l’apparition de taches de pigmentation. « Sur des modèles de peau, comme on veut voir des différences et l’action de nos produits, on maximalise la dose de manière à déclencher un effet sur la peau », explique le chercheur. « Je sais que mon produit a une efficacité contre la lumière bleue, mais j’ai encore du mal à faire la corrélation entre l’exposition de mon modèle et la réalité », résume-t-il.

Pour le lancement cette année d’une nouvelle gamme anti-âge contenant des actifs anti-lumière bleue, Uriage a donc axé sa communication sur le côté prévention.

Manque de données en vie réelle

Pour aller plus loin, «  il faudrait se mettre en conditions de vie réelles. Mais comme c’est une radiation beaucoup moins agressive que les rayons ultraviolets, l’impact [de la lumière bleue] va apparaître peut-être au bout de quelques mois, quelques années, voire beaucoup plus tardivement », ajoute M. Lefeuvre.

Des études cliniques commencent à être menées par des fournisseurs d’actifs cosmétiques, comme Gattefossé, Sederma, Solabia ou Alban Muller. Elles restent cependant pour l’instant modestes, portant sur quelques dizaines de volontaires accros aux écrans et suivis sur quelques semaines.

La recherche d’éléments probants risque d’être longue et complexe. Car « comme les UV ne sont pas très loin de la lumière bleue dans le spectre des longueurs d’ondes, il n’est pas forcément évident de différencier » leurs effets respectifs sur la peau, relève Mme Grillon du CNRS. Sans parler des autres facteurs oxydants pour la peau comme la pollution, le stress ou le tabac.