C’est une très jolie fleur avec six fins pétales, mais l’ylang ylang est surtout prisée pour ses vertus odoriférantes. « C’est un complexe chimique violent et puissant,  » qui « développe les produits nobles » intégrés dans un parfum, explique Jean Kerléo, ancien parfumeur chez Jean Patou et créateur de l’Osmothèque à Versailles. « Il s’accorde bien avec le jasmin et le complète. Il est utilisé dans de nombreux parfums floraux, en tant que produit de base du bouquet. Je l’ai moi-même utilisé pour Sublime de Jean Patou, que j’ai créé en 1992 et qui est toujours en vente,  » ajoute-t-il.

Originaire des Philippines, la fleur d’ylang-ylang a été introduite à La Réunion par les Français au XVIIIe siècle puis aux Comores et à Madagascar au début du XXe.

« Si je devais en décrire l’odeur, c’est jasminé, très montant, très puissant. C’est une note qui a presque un aspect fruité, poire et noix de coco dans la tête... On passe par tout le côté floral. Ça descend sur l’évaporation, un peu oeillet, un peu clou de girofle,  » indique Christopher Sheldrake, parfumeur et directeur recherche-développement chez Chanel.

350 distillateurs

Pour les Comores, l’ylang-ylang est une source de devises indispensable à l’économie locale, comme la vanille et le girofle. Chaque année, le petit État produit entre une trentaine et une quarantaine de tonnes d’huile essentielle de cette fleur, devant Madagascar et essentiellement sur l’île d’Anjouan, qui abrite 350 distillateurs.

La fleur d’ylang-ylang est surtout prisée pour ses vertus odoriférantes. © AFP Photo / Marco Longari

L’ylang ylang a rapporté environ 1,5 million d’euros en 2013 et 2014, soit 11% des recettes réalisées à l’exportation.

« L’ylang ylang reste une source potentielle de revenus et de devises non négligeable pour le pays, » estime l’économiste Ibrahim Ahamada, du Fonds monétaire international (FMI), à condition qu’ait lieu « une sérieuse réorganisation de la filière. » Un travail entamé depuis un an avec l’aide de fonds internationaux. Pour préserver, voire augmenter la production, de nombreux investissements sont en effet nécessaires ainsi que des mesures de lutte contre la déforestation.

Déforestation et exode rural

Depuis plusieurs années, autorités et agronomes tirent la sonnette d’alarme face aux menaces qui pèsent sur l’ylang ylang.

Cet arbre est cultivé un peu comme un pied de vigne et nécessite un entretien constant. Sans élagage régulier, le tronc pousse trop haut et les paysans ne peuvent plus accéder aux fleurs. Mais les plantations comoriennes plus que centenaires de cet arbre vieillissent. « Malgré la grande importance économique de l’huile essentielle d’ylang-ylang, il est étonnant de constater qu’il n’existe aucun programme d’amélioration de la plante, » souligne l’agronome Céline Benini de l’Université de Liège.

Les spécialistes exhortent aussi à réagir face à la disparition effrénée du couvert forestier (-25% en 20 ans). En raison du manque d’électricité, la distillation de l’huile essentielle d’ylang-ylang doit d’ailleurs elle aussi se faire dans de vieux alambics chauffés au bois.

Mais une autre menace pèse sur l’ylang-ylang : la dureté du travail pour les paysans. Les plantations exigent un gros travail de désherbage, de taille et de cueillette, pour une récolte de 25 à 40 kilos de fleurs par jour et par cueilleur en haute saison. Un travail dur payé environ 50 euros par mois. Résultat, la relève est difficile et beaucoup de jeunes préfèrent tenter leur chance en ville, où les salaires de base varient entre 50 en 90 euros par mois, mais le peu d’emplois les oblige souvent à émigrer.

Sécuriser l’approvisionnement

Les parfumeurs sont parfaitement conscients de ces difficultés et des menaces qui pèsent sur la production de cette plante stratégique dont le cas n’est d’ailleurs pas isolé.

Fatima Saidi, 45 ans, tend le bras pour récolter les fleurs d’ylang-ylang sur les pentes du volcan Karthala © AFP Photo / Marco Longari

« En parfumerie, on dénombre aujourd’hui une centaine de matières premières critiques, pour lesquelles il faut garantir un minimum de stabilité de cours et de la qualité. Beaucoup de ces matières viennent de pays en proie à l’exode rural où les plantations sont abandonnées pour des départs sans retour vers les grandes agglomérations. En Inde, au Laos, en Ouganda, en Haïti … nous investissons dans des programmes pour soutenir les populations rurales et les aider poursuivre leurs cultures en leur garantissant des revenus stables et des débouchés sur le long terme. Nous assurons à ces personnes un revenu stable qui leur permet de planter, d’investir, d’innover. C’est une organisation pensée pour être pérenne,  » expliquait récemment Olivier de Lisle, en charge du pôle Fine Fragrance de Firmenich, dans une interview à Premium Beauty News.

En ce qui concerne l’ylang-ylang des Comores, Chanel explique ainsi investir pour faire passer des messages à ses fournisseurs et les inciter à planter des pépinières pour remplacer le bois de chauffe. Le parfumeur français affirme aussi s’engager pour le respect de la main-d’oeuvre et des salaires corrects.