Jeanne Doré, cofondatrice de Nez Éditions (Photo : © Romain Bassenne / Atelier Marge Design)

Premium Beauty News - Quels changements ont affecté le sélectif ces dernières années ?

Jeanne Doré - On observe peu de changements dans le grand public, si ce n’est le rythme croissant des flankers. En raison des tests consommateurs qui dictent les choix finaux, les notes gourmandes ont largement pris le dessus, les créations sont de plus en plus lisses et interchangeables. Les lancements se suivent et se ressemblent. À l’exception de succès inattendus, tels que Gucci Bloom, développé en dehors des tests standardisés. Parce que le parfum est beau, mais aussi grâce à une communication axée sur Instagram, en phase avec une cible plus jeune. D’un côté, on s’enferme dans un cycle, de l’autre, cet exemple offre une lueur d’espoir.

Premium Beauty News - Comment évolue la parfumerie de niche ?

Jeanne Doré - Un constat qui ne surprendra personne : le nombre de marques se renouvelle à un rythme effréné. Un paysage saturé, où la parfumerie confidentielle se redessine en plusieurs catégories. D’un côté, les grands noms de ce segment, souvent rachetés par les groupes. De l’autre, des marques indépendantes, qui parviennent à vivre plus ou moins bien. Et enfin, de petites maisons, très alternatives, parfois un peu “DIY”, assez en vogue aux États-Unis, où le système n’est pas académique comme en France. Si ces créations manquent parfois de structure, elles insufflent parfois une certaine fraîcheur à ce marché saturé.

Une autre tendance que l’on a pu observer récemment, celle des experts de la parfumerie, (parfumeurs, directeurs artistiques...) qui lancent leur propre marque. Je pense notamment à Chantal Roos, Sylvaine Delacourte ou Alberto Morillas. Des personnalités bien ancrées dans l’industrie, qui connaissent leur métier sur le bout des doigts.

On voit aussi émerger des marques dont le discours s’affranchit de la frontière niche/sélectif pour se concentrer sur le digital, à l’image de Sillages Paris, qui souhaite démocratiser le parfum en reprenant les codes élémentaires de la parfumerie de niche, mis au goût du digital, via un système d’achat en ligne et échantillons.

Premium Beauty News - Comment réagit le sélectif face à l’explosion de la parfumerie de niche ?

Jeanne Doré - Les ventes de ce secteur sont en baisse. À l’image des circuits classiques de distribution, dont le modèle se tarit progressivement, à mesure que leur clientèle évolue. Celle-ci recherche la différenciation et quitte un circuit où l’offre est de plus en plus uniforme. En réaction, la plupart des grandes marques développent des lignes exclusives, épousant les codes de la niche, (discours matières, flacon épuré). Pour autant la créativité n’est pas toujours au rendez-vous, même si on a vu de jolies choses dans ce registre. Par ailleurs, les grands groupes continuent de racheter les petites marques qui leur semblent prometteuses pour l’avenir.

Premium Beauty News - Quels sont les atouts d’une marque de niche pour perdurer dans ce contexte ?

Jeanne Doré - La cohérence entre le discours marketing et le propos olfactif est indispensable pour s’inscrire dans le temps. La patience, également. Et puis, bien sûr, miser sur le digital, à l’heure où les réseaux sociaux sont devenus incontournables, mais aussi pour sortir des circuits classiques de distribution.

Premium Beauty News - Justement, quid de la distribution ?

Jeanne Doré - C’est peut-être là où l’on peut vraiment innover. La distribution, telle qu’elle existe aujourd’hui, est dépassée : trop d’intermédiaires, peu de visibilité et pas assez de conseil, de prescription, face à une offre fourmillante. Le consommateur se sent perdu. C’est pourquoi je crois à notre Box [1], qui met en avant des créateurs très confidentiels ou peu distribués. Celle-ci intéresse également les collections exclusives de grandes marques, désireuses de toucher un public averti et prescripteur. Une manière pour eux d’atteindre une clientèle qu’ils n’auraient pas touchée autrement, dans un contexte de découverte privilégié. Mais aussi d’éduquer le public, à travers la curation, un rôle devenu fondamental dans un paysage saturé.

La critique de parfum est elle aussi indispensable. Je rêve d’un avenir où l’on ira naturellement lire une critique de parfum comme celle d’un film ou d’un livre. J’aimerais voir fleurir d’autres initiatives telles que les nôtres, indispensables pour faire évoluer le marché.