L’industrie de la beauté doit se préparer à une série de changements réglementaires en Europe. La Commission évalue notamment le cadre réglementaire actuel porté par le Règlement européen relatif aux produits cosmétiques [1] et communiquera ses conclusions fin 2026, ce qui pourrait conduire à des mises à jour. Une révision du Règlement REACH sur l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques [2] est également en cours et devrait être finalisée d’ici la fin de l’année.

Devant les participants de la Conférence annuelle de Cosmetics Europe (CEAC) à Bruxelles, le mois dernier, John Chave, directeur général de Cosmetics Europe, a qualifié ces changements annoncés de « tsunami réglementaire ».

Dans l’attente de détails sur cette nouvelle ère réglementaire, quels sont les enjeux pour les marques et les fabricants ?

Vers la simplification de « certains éléments »

Pour Hans Ingels, chef d’unité à la DG GROW de la Commission européenne, l’évaluation du règlement européen sur les produits cosmétiques est importante pour garantir que le système mis en place il y a près de 20 ans reste pertinent aujourd’hui. "Le monde change. Les cosmétiques évoluent. Nous devons donc vérifier si le règlement actuel sur les cosmétiques est cohérent et s’il est efficace", a déclaré M. Ingels dans le cadre d’une table ronde lors de la conférence annuelle de Cosmetics Europe.

"Nous voulons créer un marché unique pour les cosmétiques, avec une seule règle et pas 27. Nous pensons que cela est dans l’intérêt de la compétitivité de l’industrie cosmétique européenne", a-t-il ajouté.

À court terme, la Commission européenne travaille à la simplification de certains éléments du règlement, tels que les exigences de déclaration, les processus de notification et sur d’éventuelles exemptions sectorielles. Un exemple est l’examen approfondi des récentes mises à jour de l’article 15 du règlement européen sur les produits cosmétiques concernant l’interdiction des CMR (substances classées comme cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction). L’interdiction des CMR dans les cosmétiques sera maintenue, a indiqué Hans Ingels, mais la Commission européenne étudie la possibilité de prolonger les délais d’adaptation et d’accorder des exemptions à certains secteurs de l’industrie, notamment les PME. "Aujourd’hui, pour la plupart des entreprises, six mois d’adaptation c’est bien trop courts. Nous savons tous qu’on ne peut pas reformuler un produit en quelques mois."

La Commission se concentre également sur la dernière étape de la révision du règlement REACH, autour de trois axes : la protection des consommateurs, le marché unique et la compétitivité.

Pour Agustin Reyna, directeur général du Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), la simplification de certains aspects et processus de REACH et du règlement européen sur les produits cosmétiques serait certainement positive pour l’industrie comme pour les consommateurs.

"L’examen du cadre réglementaire des produits chimiques, notamment dans le cadre de REACH et du règlement sur les cosmétiques, offre une opportunité de simplifier et d’accélérer les choses, tant du côté des entreprises que des autorités", explique-t-il. "Nous ne pouvons pas laisser durer l’examen des produits chimiques pendant des années. Nous devons agir beaucoup plus rapidement afin que l’industrie puisse avoir des certitudes."

"Manque de visibilité"

Un avis partagé par Andrea Maltagliati, secrétaire général de la Fédération européenne des ingrédients cosmétiques (EFfCI), qui a souligné la nécessité d’une plus grande visibilité concernant les tests sur les animaux – idéalement dans le sens de leur suppression totale – et d’une orientation plus claire concernant l’évaluation des nanoparticules et les listes positives de colorants, de conservateurs et de filtres UV autorisés.

Selon M. Maltagliati, le Règlement européen sur les produits cosmétiques peut certes être considéré comme un repère pour les réglementations cosmétiques mondiales, car il est "ciblé, structuré et compréhensible", mais des incohérences subsistent d’un marché européen à l’autre et entre les réglementations. En particulier pour les fabricants d’ingrédients cosmétiques, soumis à REACH au stade des ingrédients et au Règlement sur les produits cosmétiques au stade de la formulation, ce qui génère "trop d’incertitudes", selon lui.

"Pour investir dans l’innovation, la recherche et le développement d’ingrédients cosmétiques, l’industrie doit bénéficier d’un horizon clair, transparent, durable et stable", affirme-t-il. "C’est la condition sur laquelle elle s’appuie généralement pour investir dans l’innovation et les alternatives durables. Pour l’instant, le problème est que nous recevons des messages contradictoires, sans clarté."

Le secteur des ingrédients cosmétiques souhaite plus de "dialogue, de cohérence et de coopération", à mesure que la réglementation évolue en Europe. Cela permettrait d’orienter les investissements et les ressources limitées vers l’innovation plutôt que vers la défense des ingrédients existants.

Un point de vue partagé par Gerald Renner, directeur des affaires réglementaires techniques chez Cosmetics Europe, pour qui : "Nous sommes une industrie innovante qui prospère de ses reformulations. Le problème, c’est que nous détournons nos ressources vers la reformulation forcée pour raisons de conformité. …Nous devons être capables d’intégrer ces reformulations forcées dans les cycles de reformulation normaux de notre industrie - c’est cela l’innovation."

Pour lui évolutions réglementaires doivent donc soutenir la reformulation innovante, ce qui implique notamment l’acceptation de méthodes de test de sécurité alternatives et nouvelles.

Compétitivité et conformité

Sur le long terme, Hans Ingels estime que la compétitivité globale de l’industrie cosmétique – et des autres industries européennes – fait désormais l’objet d’une "politique horizontale à l’échelle de la Commission".

"La compétitivité est aujourd’hui un élément majeur, et elle le restera. Si l’Europe reste trop passive ; si nous ne défendons pas notre industrie face à des partenaires commerciaux aux politiques commerciales beaucoup plus fermes, il n’y aura plus d’industrie en Europe. Et c’est une chose que nous ne pouvons pas nous permettre. C’est une priorité absolue", a-t-il déclaré.

Pour Agustin Reyna, du BEUC, cela implique également de s’attaquer à "l’afflux de produits non conformes" sur le marché européen, qui est devenu "un problème majeur".

"Lorsqu’une personne recherche un produit cosmétique en ligne, elle considère la sécurité comme acquise, car nous avons une culture de la sécurité en Europe. Mais certaines entreprises en profitent pour proposer des produits extrêmement bon marché et non conformes. Nous devons donc redoubler d’efforts."

Passeports numériques de produits

Selon lui, l’étiquetage numérique pourrait s’avérer utile à cet égard. Le sujet est traité dans le cadre de la consultation sur le passeport numérique des produits (Digital Product Passport) [3] lancée par la Commission européenne cette année. "Nous devons vraiment considérer la numérisation comme un outil. Si nous voulons la prendre au sérieux, réfléchissons à la manière dont elle peut réellement aider les consommateurs à faire un choix éclairé lors de l’achat d’un cosmétique".

Pour Hans Ingels l’introduction de passeports numériques de produits pourrait apporter des changements positifs significatifs pour l’industrie. Il estime que "cela résoudrait le problème de l’application de la réglementation", acar les codes QR pourraient être reliés à des systèmes d’intelligence artificielle (IA) connectés aux douanes. Ces passeports numériques pourraient également permettre aux fabricants et aux marques de réunir "de nombreuses informations" et ainsi résoudre les problèmes de de traduction et divers défis liés à la mauvaise interprétation des étiquettes. À terme, ils pourraient même remplacer le portail de notification des produits cosmétiques (CPNP) de la Commission européenne.

"Cela pourrait être un outil précieux", estime le fonctionnaire européen. "Je ne crois pas que les mesures traditionnelles fonctionneront (…) Il y a trop de produits sur le marché, trop d’échanges internationaux, trop de produits entrant par le biais du commerce électronique."