Longtemps limitée aux acteurs émergents, la production en petite ou moyenne séries concerne aujourd’hui une palette bien plus large de marques. Les grands groupes l’utilisent pour tester ou personnaliser leurs offres, tandis que les jeunes marques restent contraintes par leur trésorerie et le souci de maîtriser leurs stocks. Un mouvement qui s’inscrit de surcroit dans un contexte économique de prudence où l’agilité et la flexibilité sont essentiels.

« On observe une baisse moyenne de 15 à 20% des volumes par commande, conséquence directe du ralentissement de la consommation en 2023. Les marques préfèrent désormais produire moins, mais plus souvent », souligne Sabrina Éthève-Colson, directrice stratégie clients et développement chez Alpol Cosmétique, façonnier cosmétique français et partenaire des marques françaises et internationales.

Si la pratique se généralise, commander et produire en petite ou moyenne quantité reste un défi économique non négligeable pour les fabricants.

Ajuster le prix de revient

« Le prix de revient dans ce cas de figure est souvent plus élevé », souligne Jean Marc Giroux, président de Cosmed, premier réseau des entreprises de la filière cosmétique en France avec 1030 adhérentes. « Il y a pour plusieurs raisons à cela, comme les coûts fixes liés au nettoyage des lignes de production qui doivent être amortis sur un nombre d’unités plus faible, les exigences réglementaires identiques quelle que soit la taille de la série, et bien sûr les achats de matières premières et de packaging qui bénéficient traditionnellement de meilleures conditions tarifaires à partir de gros volumes », précise-t-il.

Pour répondre aux besoins des marques tout en restant compétitif, le façonnier breton Uspalla a calibré ses prix de revient en marque blanche, pour des volumes allant de 250 à 2000 pièces, avec un prix dégressif à partir de 2100. « Les marques doivent privilégier des partenaires capables d’adapter leurs achats et leurs coûts à la taille réelle des productions », souligne Marion Rebaud-Zariffa, présidente du laboratoire.

L’achat des matières premières concentre de nombreux défis. « Sur les formules sur-mesure, c’est le principal problème, certaines ne sont disponibles qu’en gros volumes, donc difficiles à obtenir », poursuit-elle.

Pour contourner ces difficultés, Uspalla mise notamment sur la solidarité entre laboratoires. « C’est ce que l’on appelle du dépannage de matières premières. Nous échangeons via des plateformes comme Cosmoplace. Ce sont des groupes d’entraide entre responsables de laboratoire ou fournisseurs de packagings, qui regroupent entre 200 et 400 membres » indique-t-elle.

Elle peut également faire une demande d’échantillons gratuits ou payants auprès des fournisseurs d’ingrédients. « En dernier recours nous remplaçons la matière première par une autre, ce qui implique un léger travail de reformulation et de validation réglementaire », indique Marion Rebaud-Zariffa.

Les MOQ par matières premières et le montant minimum d’achat par commande imposé par les fournisseurs sont également les principales contraintes avancées par Aude Martin, cheffe de projet R&D formulation chez LMDC, laboratoire spécialisé dans la création de cosmétiques, soins et maquillage. Le risque de péremption des matières premières complique encore l’équation, souligne-t-elle. Si certains ingrédients, comme les pigments, se conservent deux à trois ans, d’autres ont une durée de vie de quelques mois seulement.

« Il est déjà arrivé que nous recevions une matière première avec seulement trois mois de validité à réception ; nous avons dû anticiper des productions afin de ne pas gaspiller », explique-t-elle.

Un équilibre délicat entre exigences réglementaires, qualité et maîtrise des coûts.

Groupement des achats

C’est pour répondre à ces difficultés que Cosmed a créé un groupement d’achat, permettant aux petites entreprises d’acheter à l’unité ou en petites quantités, tout en bénéficiant de tarifs équivalents à ceux négociés par les grands groupes, grâce à la mutualisation des commandes. Les adhérents peuvent ainsi accéder à des conditions avantageuses sur les matières premières et les emballages, quel que soit leur volume d’achat.

Cosmed a également mis en place une bourse d’échanges afin que des entreprises qui auraient acheté au-delà de leur besoin puissent proposer leur sur-stock à d’autres acteurs du réseau.

De son côté, le fabricant Alpol Cosmétique s’appuie sur son réseau de fournisseurs autant que sur son propre catalogue. « Nous savons quels fournisseur sont capables d’accompagner les petites marques, pour éviter qu’elles ne se retrouvent avec quantité d’ingrédients inutilisés. Nous disposons aussi d’un catalogue interne de plus de 3000 matières premières, entre actifs et galéniques, ce qui nous permet de proposer des alternatives déjà validées et stockées », indique Sabrina Éthève-Colson.

Même démarche chez Sofia Cosmétique, spécialiste des développements sur mesure, principalement en cosmétique blanche.

« Nous essayons d’utiliser ce que nous avons déjà en interne. Cela permet de rationaliser nos matières premières, d’éviter les pertes, et c’est cohérent avec notre politique RSE  », explique Alexia Dingas, directrice commerciale.

Ce laboratoire impose un minimum de commande de 5000 pièces par référence. « D’un point de vue industriel, produire 1000 ou 50.000 unités demande quasiment le même travail : constitution du dossier réglementaire, réalisation des tests, élaboration des contrats… Le niveau d’engagement reste identique pour l’entreprise. Les petites séries représentent donc beaucoup de travail pour peu de rentabilité, mais elles permettent parfois de repérer de belles marques à accompagner sur le long terme », précise la directrice commerciale.

Souvent issues de nouvelles marques, ces demandes de petites séries nécessitent un juste équilibre entre exigence et réalisme.

« Travailler avec ces jeunes marques, c’est aussi gérer une forte dimension émotionnelle. Il faut savoir les recadrer avec bienveillance, ce qui demande du temps et de la diplomatie. Nous choisissons d’accompagner les marques lucides, conscientes des coûts et des contraintes du marché », ajoute Sabrina Éthève-Colson.

Preuve de l’intérêt croissant pour ces demandes, Alpol Cosmétique a récemment recruté un business developer dédié au développement du portefeuille PME et ETI, ainsi qu’à l’identification de jeunes marques à fort potentiel sur le marché européen.