« En Chine, tout va très vite », a rappelé Dao Nguyen. Avec un taux de pénétration de 5%, le marché chinois est en pleine croissance mais il demeure extrêmement concurrentiel. Considérée un temps comme un eldorado, la Chine est un marché de plus en plus difficile pour les marques internationales qui trouvent sur place une forte concurrence.
Avec une approche value for money très pragmatique, les consommateurs chinois font pression sur les prix, tandis qu’ils s’informent et s’éduquent de plus en plus via les réseaux sociaux. Selon Grégoire Granchamp, CEO de l’incubateur Next Beauty, le ticket d’entrée pour une marque non-chinoise se situe à présent entre 200 mille et 2 millions d’euros. Il est impossible de s’y risquer sans une vision stratégique claire et des partenaires fiables.
Pointant le paradoxe du marché dont le volume va croissant mais dont la valeur a baissé en 2024, Michel Gutsatz, CEO de la marque Le Jardin Retrouvé, qui commercialise ses produits en Chine depuis 5 ans, met en avant trois attentes incontournables : l’authenticité, le storytelling et l’expérience consommateur au sein de pop-up ou de boutiques. Des règles qui s’appliquent à tous les acteurs du marché.
Vendre une philosophie de vie
Face aux acteurs européens, des marques chinoises comme Documents, Maison de Sit.E, Herbeast, To Summer et Melt Season mixent avec habileté Orient et Occident, et disposent d’une connaissance fine du marché.
Les piliers du succès ? Une identité visuelle forte, des packagings innovants, des parcours retail XXL – basée sur une architecture contemporaine respectant les particularismes régionaux, une scénographie et des évènements spectaculaires, des expositions d’art – un soutien actif auprès des communautés.
Le positionnement de ces marques englobe un life-style, une culture esthétique et des engagements qui, en plus du medium parfum, s’appliquent à différents secteurs : mode, soins, maquillage, papeterie...
Ce modèle semble faire école dans la niche. Ainsi, la maison HandhandHand convoque l’artisanat, notamment les arts verriers. Ses trois boutiques se parent de sculptures uniques réalisées à la main par les trois fondateurs. Au-delà des parfums de peau ou d’ambiance, HandhandHand revitalise la tradition des sacs de plantes séchées portés aux ceintures, en les destinant aux sacs à main.
De son côté, Cottee a d’abord répondu par la création d’une bougie à la demande des clients de ses coffee-shops qui souhaitaient emporter l’atmosphère des lieux avec eux. Puis elle s’est rapprochée de dsm-firmenich pour développer sur ce principe une collection de fragrances, explorant des destinations toutes visitées et photographiées par le fondateur de la marque. Les contenus écrits et visuels cultivent l’esprit carnet de voyage et la proximité. Le design suit avec des flacon-flasques de 30 ml facilement transportables, vendus autour de 40 euros.
Codes identitaires et références traditionnelles
De nombreuses marques s’enracinent dans l’héritage culturel chinois. Ainsi, le narratif de Lychee, l’un des derniers parfums de Melt Season, fait référence à une légende ancienne.
La marque Xi valorise une technique ancestrale de papier coton et en habille ses flacons, tandis que Le Goût de Peau s’attache à défendre les us et coutumes de provinces rurales reculées. L’un des parfums s’inspire de carillons animés par le vent.
Tout l’univers visuel de Zhu Fu Fragrance se place sous le signe du bambou, symbole de résilience et de prospérité. Adepte du Feng Shui, le fondateur est un designer qui maîtrise la portée de chaque signifiant pour l’harmoniser dans un tout. En partenariat avec Robertet, il introduit des plantes curatives dans ses fragrances.
Outis revendique le pouvoir de la pharmacopée et de la médecine chinoise, couplées à l’astrologie. Leurs parfums aux notes herbacées veulent agir sur les flux d’énergies vitales,
Voice From The Sky, fondée par Tianle Feng formé à l’ISIPCA, murmure des bribes de son histoire dans un langage olfactif qui se veut universel.
Un spectre olfactif proprement chinois
Attachée aux matières traditionnelles locales qui font sa signature — thé, osmanthus, encens, herbes médicinales, santal, oud – la parfumerie chinoise a ses propres codes. Les particularismes culturels sont à prendre en compte : les chinois s’abstiennent de parfumer leurs thés, alors que l’archétype olfactif occidental de ce breuvage comporte la bergamote du Earl Grey. Remarqué pour sa délicatesse, le parfum Aged Pu-Er Tea de Zhufu Fragrance est emblématique de ce spectre olfactif original.
Florent di Marino, parfumeur chez Symrise et résident en Chine depuis 9 ans, constate un désir de long-lasting mais pas forcément de volume. Dans ce sens, il a composé le parfum Pomelo pour Soulvent, bestseller à la fraîcheur légèrement amère d’une tenue irréprochable.
De son côté, Damfool Perfume a imposé une fragrance construite autour d’une matière animale peu commune — l’excrément de Yak — qui fait partie de l’environnement olfactif des hauts-plateaux mongoliens et qu’il est parvenu à faire apprécier à Paris.
La jeune parfumerie chinoise a déjà beaucoup de cartes en main !
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Les grandes tendances et dernières innovations en matière de développement de parfums, avec notamment un gros plan sur la Chine, seront présentées et débattues à l’occasion du prochain Fragrance Innovation Summit, le 26 novembre à Paris. Programme détaillé : www.fragranceinnovation.com |
































