Alors que la plupart des grands groupes de luxe, tous secteurs confondus, voient actuellement leur chiffre d’affaires baisser en Chine, la croissance du marché du parfum avoisinerait 14%, pour un montant qui devrait atteindre 5,8 milliards d’euros d’ici 2028, selon le cabinet de conseil américain Frost & Sullivan. Autre caractéristique du marché chinois des parfums : un taux de pénétration ne dépassant pas 5% et des amateurs de plus en plus nombreux dans la génération Z (19-24 ans).
Volatilité des acteurs
Le marché est toujours dominé par les marques occidentales, y compris dans les parfums premium. « Parmi les marques de niche les plus populaires en 2024, on peut citer Jo Malone, Tom Ford, Maison Margiela, Byredo, Diptyque. Chacune a su trouver son public de manière claire et distincte, et installer dans la durée des classiques incontournables pour tous ceux qui explorent le parfum, même débutants », estime Dao Nguyen.
Elle souligne que les marques de niche, particulièrement dynamiques, cohabitent et rivalisent fortement avec les marques mainstream. Or le marché compte sans cesse de nouveaux entrants comme dernièrement les marques chinoises de cosmétiques Proya, Kans et Mao Geping qui ont lancé leurs fragrances.
« On observe donc une intensification de la concurrence, avec pour conséquence une forte volatilité des acteurs en présence », analyse Dao Nguyen. Les marques locales ne cessent de monter en puissance, innover et réinventer l’expérience olfactive. Par ailleurs si le prix est un avantage surtout auprès des jeunes entrants, il ne doit pas occulter la présence et la réussite de marques comme Melt Season, Documents ou Qi Cun Jiu (七寸九), comparables en prix aux marques de niche internationales.
Aux yeux de Lishi Ni, trentenaire fondatrice de la marque haut de gamme Melt Season qui s’exprime dans la presse chinoise, le marché de la parfumerie a longtemps été contrôlé par l’Occident. Sur le segment des parfums haut de gamme, dont le prix dépasse les 1000 yuans (123 euros), l’offre est presque entièrement dominée par des sociétés étrangères. Mais, estime-t-elle, ces parfums ont rarement pris en compte les us et coutumes des Chinois et n’ont pas réussi à répondre à leurs besoins émotionnels, laissant un espace vide sur le marché national de la parfumerie fine pendant une longue période.
Soutien émotionnel
Selon l’étude 2024-2025 du China Perfume Industry Research and Consumer Insights publiée par iiMedia Research, 64,2% des utilisateurs déclarent que leur consommation quotidienne de parfums est davantage axée sur le plaisir et la recherche de régulation émotionnelle. Les modes de consommation de parfums se multiplient et ne se limitent plus aux occasions sociales et professionnelles. Des parfums aux vertus apaisantes peuvent être par exemple recherchés pour renforcer le sentiment de rituel et de plaisir personnel lors de son utilisation, répondant ainsi à la quête d’expériences émotionnelles et de qualité de vie des consommateurs.
Patrick Hui, fondateur de la boutique hongkongaise de parfums Scented Niche, a indiqué au South China Morning Post qu’en Chine continentale, le marché des parfums suit ses propres tendances. L’ambre était à la mode en 2018, tandis que la tubéreuse d’Inde était en vogue en 2019 et 2020. Depuis, les notes florales ont la cote. Plus récemment, on observe une tendance vers des parfums plus simples. En 2024, les notes boisées ont pris le dessus, avec le bois de cèdre en tête, détaille-t-il. Les parfums unisexes ont également gagné en popularité, les femmes optant pour des parfums plus secs, boisés et épicés.
Individualité
Pour Dao Nguyen, le parfum de niche répond à une volonté d’expression de l’individualité et de discernement qui a émergé dans une société traditionnellement plus formatée autour du collectif que de l’individu. Le contexte post-covid a aussi été un facteur d’intensification de ce phénomène. « Les marques chinoises bénéficient naturellement d’une proximité culturelle et sont par nature extrêmement réactives. Mais c’est leur créativité et capacité à innover qui pour moi va leur donner un véritable avantage compétitif », souligne-t-elle.
Les géants occidentaux de la beauté veulent participer au mouvement. L’Oréal a annoncé début 2024 avoir pris une participation minoritaire dans la marque chinoise de parfum premium To Summer, deux ans après avoir investi dans la jeune marque Documents - cette dernière a depuis vu le groupe chinois de beauté Ushopal grossir les rangs de ses actionnaires. Fin 2023, Estée Lauder est entrée dans le capital de la marque Melt Season de Nishi Li.
L’an dernier, International Flavors and Fragrances (IFF) a ouvert son plus grand centre d’innovation asiatique à Shanghai sur 16.000 m2 baptisé “Shanghai Creative Center”. De son côté Givaudan a annoncé le lancement de L’Appartement 125, un centre de création de parfums ultramoderne situé au cœur de Shanghai. Selon la société, « cet espace innovant est conçu pour favoriser la co-création entre les talentueux parfumeurs de Givaudan et les marques chinoises, établissant ainsi une nouvelle référence en matière de développement de parfums dans la région ».