Depuis les premiers papiers que j’avais écrit sur le sujet, petit microbiote est devenu grand et a conquis bien des publics, y compris celui de la beauté. Et c’est une bonne chose.

L’industrie a besoin de protocoles pour l’étude systématique de l’impact des ingrédients et produits finis sur le microbiome cutané, assortis de standards permettant de comparer les résultats. Photo : © vrx / shutterstock.com

LVMH fut la première marque prestige/luxe à sauter le pas avec le lancement de LIFE en juin 2017, accompagnée d’un discours « prébiotique ».

Au début de cette année, Unilever a investi 600 000 euros sur la très jeune marque Gallinée, la première, rappelons-le, à avoir marié le terme « bonne bactérie » et « peau » dans un marketing mix, de façon aussi délibérée, voire même libérée.

Poussant plus loin le champ des possibles, Beiersdorf vient d’investir dans une autre startup, S-Biomedic, également axée Microbiome, mais cette fois-ci travaillant au développement des bactéries vivantes pour le traitement de l’acné. S-Biomedic au jour de son lancement sera la troisième marque ayant mis sur le marché des organismes vivants à visée dermatologique.

Le champ évolue, les concepts maturent, l’industrie s’adapte. Chez nos fournisseurs, Silab, après BASF, Givaudan et Greentech, se pourvoit d’une plateforme d’étude du microbiome. Givaudan offre un catalogue entièrement dédié aux revendications liées au Microbiome. Vytrus vient de lancer un ingrédient ciblant les senseurs du quorum, l’appareil de communication (et bien souvent de virulence) des bactéries.

Promesses déraisonnables

Mais les poussées de croissance arrivent rarement sans douleur. Force est de constater que les revendications, si elles restent raisonnables dans les grandes marques et les marques de dermo-cosmétologie, partent, encore une fois, en vrille chez beaucoup d’acteurs. On dit tout et son contraire. On promet - encore une fois - la lune. Souvent les moins informés sont les plus audacieux.

Et tout ceci attire l’attention des autorités. La FDA tient en septembre sa première réunion consultative sur le microbiome en cosmétique. Deux mois avant la date annoncée, la réunion était déjà entièrement réservée. En Europe, l’EMEA a mis en place des groupes de travail et les discussions ont commencé.

Et nos lobbys sont sceptiques. Leurs interventions dans les différents séminaires auxquels j’ai assisté ou qui m’ont été rapportées, témoignent d’un scepticisme qui va plus loin que celui qu’il nous paraît essentiel de garder à l’esprit. J’y ai entendu plutôt du conservatisme. Or, le microbiome n’est pas une science qui nous laisse l’espoir de continuer à faire la même chose encore et encore. Nous allons devoir changer, profondément.

Ecoutez Larry Weiss, ancien exécutif d’AOBiome et l’un des entrepreneurs scientifiques les plus visionnaires que j’ai eu le plaisir de rencontrer : « Le microbiome est à la biologie ce que la physique quantique fut à la physique newtonienne quand elle a émergé. C’est simplement une révolution scientifique, avec tout ce que cela implique ».

Une révolution scientifique c’est un tremblement de terre qui a des répercussions dans l’intégralité du tissu sociétal. Notre industrie n’est pas une exception.

« On ne sait rien sur rien », rappelle Larry, « notre première priorité c’est d’explorer et de comprendre ces systèmes qui sont d’une extraordinaire complexité. »

Peu d’études

Donc oui, dans un domaine, le microbiome de la peau, où la vaste majorité des publications scientifiques ne parlent que de peau compromise, les études publiées sur peau saine sont rares et les acteurs de l’industrie, même s’ils se dotent de moyens, ont du mal à suivre une recherche extrêmement coûteuse car s’adressant à des systèmes complexes. Rares sont les fournisseurs qui, comme Givaudan, BASF, Greentech ou, plus récemment Silab, se sont dotés de moyens d’étude. Chez les marques, tous les poids lourds du domaine travaillent, mais partagent peu.

Or, la recherche mondiale avance parce qu’on partage, parce que les réseaux de chercheurs sont connectés, bruissent et échangent en permanence.

Il serait urgent que notre industrie vienne à un consensus qui prévoie des protocoles d’étude systématique de l’impact des ingrédients et produits finis sur le microbiome cutané, assortis de standards permettant de comparer les résultats et non de démontrer ce que l’on veut.

Si nous ne le faisons pas, les autorités le feront pour nous. Et avec raison.