Valérie Bernard

Un jaune-orangé entre safran et mangue, un rouge rouillé virant sur le marron, des teintes chanvre et lin mariées avec un taupe, du bleu aqua en harmonie avec un chocolat, sans parler de l’infinité des bleus… L’atelier de Valérie Bernard, rue de Wattignies dans le 12e arrondissement de Paris, là où se trouvait la manufacture Dorin, propose un festival de pigments et de nuances. « Chaque couleur a une signification et possède un fort pouvoir d’évocation. Pour les accorder, comme en musique, c’est une question d’harmonie. Il y a celles qui vont naturellement ensemble et se marient entre elles pour créer un univers qui leur est propre, et celles qui s’entrechoquent, nous heurtent et nous surprennent, » explique-t-elle.

Diplômée d’une école de graphisme, Valérie Bernard a débuté sa carrière dans le design avec Alain de Mourgues, puis avec Joël Desgrippes. Mais c’est au Japon, en 1991, qu’elle crée sa première agence, après avoir travaillé pendant près d’un an et demi pour Kosé. À son retour à Paris, deux ans plus tard, l’Asie continue d’inspirer son travail. « Au début des années 1990, le design a vraiment commencé à intéresser les marques européennes de produits de soins. Le Japon, avec ses produits aux belles formes très travaillées, paraissait très en avance sur ce point. »

Un choix stratégique

Avec une approche très sensorielle du design, elle s’intéresse très vite au rôle de la couleur sur l’attractivité des objets. «  J’ai tout de suite commencé à réaliser mes propres couleurs dans mon atelier, » précise-t-elle. « Chaque couleur a une signification et possède un fort pouvoir d’évocation. Dès lors, choisir une couleur plutôt qu’une autre peut avoir des conséquences importantes en matière d’image et d’identité. La couleur est aussi ce qui permet de se différencier des autres. C’est un choix stratégique. »

Même si certains segments résistent encore, notamment en dermo-cosmétique où la proximité de l’univers médical semble limiter le champ des possibles, l’usage des couleurs dans l’univers du soin s’est généralisé. Les couleurs neutres n’ont pas disparu des linéaires, mais elles n’imposent plus leur loi. L’univers du luxe lui même est concerné. La couleur gagne ainsi toujours plus de terrain dans l’univers de la parfumerie, notamment avec le développement des flankers, qu’il faut bien différencier les uns des autres.

Parmi les réalisations de l’agence Valérie Bernard Design, on trouve donc aussi bien des bougies (Rigaud), des parfums (le design packaging et le graphisme de l’édition limitée Fleur de Narcisse, L’Artisan parfumeur ; White Reseda, Roger & Gallet), du maquillage de luxe (Les Météorites, Guerlain), de mass ou de masstige (Fun by Espoir, Amore Pacific ; les monos de Bourjois ; Aube de Kao), des produits de toilette (Les Bains Essentiels, Yves Rocher ; Eau Précieuse, Omega Pharma) et bien sûr des produits de soins (le design graphique et la couleur de la gamme Oxyance, femme et homme, de Sensiblu ; le design de l’image institutionnelle et packaging des produits Filorga, et plusieurs lignes pour Dr. Pierre Ricaud avec qui elle travaille depuis une quinzaine d’années).

À ces références du monde de la beauté ont peut ajouter une ligne de papiers cadeaux pour Sephora. « L’enseigne avait eu l’idée de développer une gamme de couleurs de papiers, avec une gamme de couleurs Pantone variées mais garantissant que l’association soit harmonieuse. » Dans un autre univers, elle a créé en 2012 pour le célèbre producteur de champagne Dom Pérignon, une couleur institutionnelle nommée « DARK ».

Tendances et modes

Tout comme les formes, mais bien plus fortement, les couleurs obéissent aux modes. Le design de la couleur nécessite d’être attentif à l’évolution des styles de vie et de s’imprégner des tendances. «  Il y a les couleurs du moment, et celles qui sont déjà datées. Mon rôle est de m’imprégner de l’air du temps et de me concentrer sur les couleurs qui ont le vent en poupe ou au contraire sur celles qui s’épanouiront sur la durée. Tout dépend des besoins de mes clients. Il faut parfois oser s’affranchir des modes et des tendances. »

D’autant que les correspondances entre le discours cosmétique, qui porte sur des molécules, des effets sur la peau, n’est pas toujours facile à transposer sous une forme colorée.

Reste la question des différences culturelles. On sait que la symbolique des couleurs varie d’une civilisation à l’autre. Mais pour Valérie Bernard la tendance, sur ce point aussi, est clairement à la mondialisation. « Les différences culturelles ont tendances à s’estomper. À mes débuts, certains codes couleurs étaient très marqués d’un marché à l’autre. C’est moins vrai, même si certaines couleurs restent sensibles. Je reste prudente sur les rouges, sur l’or, etc. Mais tout cela a beaucoup évolué. La mode et les tendances se sont largement internationalisées. Le résultat est que beaucoup d’obstacles ont sauté et que l’on peut oser plus de teintes. Mais certaines couleurs et associations restent plus acceptables dans certains pays que dans d’autres. » L’agence, qui compte toujours de nombreux clients asiatiques, principalement en Chine, continue d’ailleurs à s’imprégner régulièrement des tendances croisées entre l’Europe et l’Asie, ses deux grandes sources d’inspiration.

L’étape industrielle

Mais le travail du designer ne s’arrête pas à la définition des harmonies colorées. « Une fois la couleur idéale trouvée, la difficulté est de l’industrialiser. Les différentes techniques industrielles disponibles ne restituent pas les couleurs de la même façon. Certaines couleurs ne fonctionnent pas avec certaines techniques. Cela implique une étroite coopération entre les designers et les industriels, » souligne Valérie Bernard. « Le rôle du designer est de guider l’industriel sur la façon dont la couleur a été obtenue. Mon travail va jusqu’à l’industrialisation de la teinte choisie. »

Si les différents outils de numérisation des couleurs ont permis de faciliter les échanges entre les différents intervenants, pour Valérie Bernard, « l’œil humain exercé reste indispensable  ». Les outils d’indexation, selon elle, ne rendent pas forcément bien compte des couleurs chargées en nacre, ni des variations de matériaux.

Un travail délicat et sensible, qu’il est parfois difficile de mettre en mots, mais au combien essentiel au succès des nouveaux développements.