Premium Beauty News - Flair a fêté ses dix ans en 2022. Comment est née l’idée d’un studio de création dédié à parfumerie de niche ?

Anne-Sophie Behaghel - Lorsque nous avons fondé Flair en 2012, avec Amélie Bourgeois et Martine Denisot, la parfumerie de niche était en plein essor depuis les années 2000. Or les grandes maisons de composition ne pouvaient répondre à l’étendue de la demande, ni en termes de volume et ni en capacités d’accompagnement. Il y avait une vraie place à prendre pour les parfumeurs indépendants.

J’ai rencontré Amélie Bourgeois chez Cinquième Sens, où la fondatrice et parfumeure Monique Schlienger nous a appris à sentir et composer. Nous y avons fait nos gammes. C’est d’ailleurs chez Cinquième Sens que, plus tard, Amélie rencontre Martine Denisot. De mon côté, j’ai souhaité enrichir mon expérience dans différents postes chez Firmenich et Symrise.

Nous avons réalisé nos premiers projets pour Jovoy (Rouge Assassin) et Frapin (Paradis Perdu). François Hénin et David Frossard, les dirigeants de ces deux marques, nous ont fait confiance dès le début. Ces deux réalisations nous ont amenées à créer pour Room 1015, Liquides Imaginaires, Les Eaux Primordiales ou BDK Parfums. Pour cette dernière marque nous avons signé Rouge Smoking, Sel d’Argent et French Bouquet.

Depuis la création de Flair, nous avons travaillé pour cinquante-six marques et l’équipe s’est étoffée de deux jeunes parfumeures : Camille Chemardin et Margaux Le Paih-Guérin, qui se sont vite révélées indispensables.

Premium Beauty News - Flair s’est aussi ouvert à l’art olfactif ?

Anne-Sophie Behaghel - Oui, Sandra Barré nous a rejoint en 2022. Issue d’un cursus en histoire de l’art, elle s’est rapprochée d’artistes travaillant avec une dimension olfactive, pour questionner la présence des odeurs dans l’art, dans le cadre d’un mémoire, puis d’un livre. Elle a enrichi notre expertise d’une dimension artistique, en nous ouvrant à d’autres univers. Composer pour un projet artistique – où l’on parfume un espace, des matériaux – implique une autre manière de formuler.

Nous avons fondé le Prix Flair, afin de mettre en lumière l’art olfactif. Cette année, pour la deuxième édition, un jury de professionnels du monde de l’art contemporain et de la parfumerie retiendra le projet d’un(e) artiste qui obtiendra une dotation de 10.000 euros pour la création d’une installation olfactive, dont nous composerons le parfum. L’œuvre finale sera exposée dans la résidence d’artistes POUSH fin 2024. L’appel à candidature se clôturera le 28 avril prochain. En marge du prix, Flair propose aussi un podcast, voué à valoriser l’art olfactif.

Parmi les projets artistiques récents de Flair, Camille Chemardin a participé au solo show de Chloé Jeanne, qui se déroulait à Tours. Autour du thème de la présence visible, de la question du vivant, elle a signé trois parfums, pensés comme trois visions de la Loire : végétale, animale et minérale.

Premium Beauty News - Parlez-nous de la démarche créative de l’équipe.

Anne-Sophie Behaghel - Nous avons dès le début souhaité travailler avec un orgue ouvert, pour ne pas nous enfermer dans un style, dicté par un fournisseur de matières. Nous avons choisi VO Aromatiques, une usine partenaire qui produit les parfums et fournit notre orgue. Chose rare, l’entreprise a accepté d’ouvrir son compendium, afin d’y inclure des matières issues d’autres sourceurs. À l’image de la vanille verte de Stéphane Piquart (Behave), des spécialités d’Albert Vieille ou de Biolandes. Nous travaillons aujourd’hui avec une palette de 800 ingrédients.

En termes de démarche créative, je dirais que la direction artistique est essentielle. Écouter le créateur nous parler de son brief, de son histoire, avec ses mots. Un des atouts de notre équipe est d’avoir toutes un style créatif distinct. J’aime travailler des formules simples, avec des overdoses de matières. J’ai une “plume” abstraite. Là où Amélie joue de formules plus longues, avec une écriture sensuelle, raffinée. Margaux travaille les notes gourmandes et boisées avec audace, sans renier l’élégance. Camille explore des thèmes olfactifs avec passion, à travers des formules équilibrées.

Premium Beauty News - Quel regard portez-vous sur ces dix dernières années ?

Anne-Sophie Behaghel - Nous connaissons une croissance tranquille, mais certaine. Nous avons pris le temps de développer la société sereinement. L’engouement pour la parfumerie de niche y contribue. La France reste un marché compliqué mais néanmoins il évolue. En Europe, le public s’intéresse de plus en plus à la parfumerie de niche, la clientèle est plus pointue. Même pour des lessives parfumées premium, à l’image de Kerzon. Ce changement tient entre autres à la hausse de prix du sélectif, qui amène le public à se tourner vers une offre plus rare. Un phénomène que la pandémie de Covid a amplifié.

Le studio Flair travaille aujourd’hui sur une cinquantaine de lancements par an. Récemment, l’équipe a signé Red, le nouveau parfum de Sora Dora, une exclusivité Jovoy, et Angel’s Powder, le dernier-né de Born To Stand Out, dévoilé à Esxence. Les « filles de Flair » ont aussi conçu les senteurs de la gamme cosmétique de Versatile. Et bien d’autres choses à découvrir prochainement…