Adeline Çabale, présidente et co-fondatrice de Retail Factory

Pour Adeline Çabale, il y a urgence : le monde de la beauté doit au plus vite transformer son approche du retail pour répondre aux nouvelles attentes des consommateurs. Pour cette ancienne de L’Occitane, co-fondatrice de l’agence de conseil Retail Factory : « Les marques et les enseignes de parfums et cosmétiques ont la chance de ne pas être encore trop concurrencées par les pure players du net, du moins en Europe. Mais, toutes ont conscience que le monde a changé et que l’ordre des choses peut être très rapidement bouleversé ».

Le marché nord-américain a été largement chamboulé par l’émergence de nouvelles marques misant sur internet et les réseaux sociaux pour développer leur notoriété et leurs ventes : en bâtissant leur réputation avec l’appui d’influenceurs et de stars hollywoodiennes, comme Anastasia Beverly Hills, en imaginant un modèle de cocréation communautaire, comme Glossier, ou en construisant un business pure player multimillionnaire centré sur une personnalité, comme Kylie Jenner ou Kim Kardashian, sans la moindre boutique physique (ou presque), ou en réinventant la consommation de la beauté par abonnement, comme Beauty Pie. Le maquillage a été la première catégorie concernée, mais nombreuses sont aujourd’hui les marques de soins ou de parfums à avoir développé avec succès des modèles très largement digitaux.

Si le recul permet de constater que le succès en ligne peut être aussi fulgurant qu’éphémère, ces acteurs n’en déstabilisent pas moins les équilibres établis et imposent des ajustements à l’ensemble de l’industrie. «  Les marques les plus installées ont parfaitement conscience du défi et cherchent à prendre les devants », souligne Adeline Çabale. « Tout notre travail consiste à les accompagner dans cette tâche ».

Retail Factory met en place des formations autour de la transformation du retail, et organise des retail tours en France et à l’étranger pour aider ses clients à « repenser le point de vente via une expérience en boutique et l’expertise des vendeurs ».

Pour Adeline Çabale, la distribution beauté est en pleine mutation autour d’un certain nombre de tendances parfois contradictoires. « La plus importante et la plus évidente est le Green/Clean », explique-t-elle. « Aux États-Unis, cela passe par le développement de multi-marques clean beauty comme Detox Market, Credo Beauty ou Beautycounter ». Au-delà des ingrédients, la tendance écoresponsable s’étend au packaging et à l’ensemble de l’expérience d’achat, points de vente compris. « Patagonia, qui a longtemps fait figure de pionnier marginal, devient l’exemple à suivre dans tous les secteurs ».

Sans que cela soit incompatible avec l’envie de naturalité, l’autre grande tendance du moment est, toujours selon la présidente de Retail Factory, le luxe décomplexé. « On recherche un rapport décontracté et intimiste au luxe, comme on peut le vivre à l’Atelier Beauté de Chanel de Soho à New York, avec son architecture très instagrammable, sa scent room pour tester les parfums à l’aveugle, son application digitale qui fluidifie le parcours, et où le vendeur devient expert et prescripteur. L’acte d’achat n’est plus qu’une formalité, c’est l’expérience que va vivre le client avec la marque qui prime avant tout ».

Plus généralement, Adeline Çabale observe également une montée globale de la tendance frictionless. « C’est évident chez Glossier et sa boutique showroom où aucun stock n’est visible. Une fois le paiement effectué les produits arrivent sur un mur automatisé, dans un sac personnalisé, avec le prénom de l’acheteuse, comme si tout cela allait de soi ». De ce point de vue, marques et détaillants français et européens semblent encore accuser beaucoup de retard en matière d’omnicanalité. « Le click & collect est opérationnel certes, mais les retailers n’ont pas su saisir ce moment et proposer des ventes complémentaires et les allers-retours entre online et physique ne sont pas toujours fluides ». Les acteurs ont réellement pris conscience des enjeux mais se heurtent encore à des problèmes de budget pour la synchronisation de leurs systèmes d’information online et offline. «  Le pays le plus en avance est sans aucun doute la Chine où plus aucun achat, ou presque, ne se fait sans smartphone. Les États Unis suivent immédiatement ».

Enfin, à plus long terme, le commerce vocal est vraiment « la tendance à suivre », selon Adeline Çabale. « Faire son shopping avec la voix est très intuitif et naturel. Les enceintes vocales sont de plus en plus présentes dans les foyers américains, il reste encore beaucoup à faire du côté de la technologie, mais c’est l’avenir… et un nouveau canal de distribution qui est en train de se dessiner  ». Et là aussi, ceux qui sauront s’imposer au mieux sur ce terrain pourraient changer la donne.