Peu de marques de cosmétiques chinoises attirent autant l’attention de la presse occidentale que Perfect Diary (完美日记). La jeune marque a certes réalisé en Chine une performance qui donne le tournis : pendant le Singles’ Day du 11 novembre 2018, soit un peu plus d’un an après son lancement, Perfect Diary s’est classée au top des marques chinoises de maquillage. L’année suivante, les ventes durant la journée promotionnelle des célibataires ont atteint 100 millions de RMB en 13 minutes sur Tmall, dépassant des marques internationales telles que L’Oréal et Maybelline.

Ciblant principalement, au sein de la génération Z, les jeunes femmes de 18-28 ans, plus attirées que leurs aînées par les marques nationales, Perfect Diary s’est rapidement démarquée de la concurrence avec une stratégie de marketing en ligne innovante.

Digital native

Selon Daxue Consulting, un cabinet de conseil basé en Chine, au-delà de la promotion sur les plateformes sociales généralistes Weibo et WeChat, Perfect Diary tire également parti des avantages communautaires de Xiaohongshu, dont 50% des utilisateurs ont moins de 30 ans, et Bilibili, avec ses utilisateurs nés à 80% dans les années 1990. Elle a également collaboré avec des célébrités et des KOL (Key Opinion Leader) en cohérence avec la marque, à l’instar du ‘roi chinois du rouge-à-lèvres’ Li Jiaqi.

Parallèlement, Perfect Diary a créé un personnage virtuel de KOC (Key Opinion Consumer) Xiaowanzi (小完子), qui a des traits communs avec les consommateurs cibles de la marque et joue le rôle de consultant en beauté, d’ami et de fournisseur d’informations promotionnelles et de service client en temps réel. Ce KOC virtuel peut aider la marque à établir des relations plus étroites avec sa clientèle. Cela lui permet aussi de convertir son trafic public en trafic privé, moins onéreux.

« La stratégie de Perfect Diary est un cas d’école pour apprendre à devenir indépendant des places de marché », estime Daxue Consulting. « Elle tire parti de la stratégie KOL et crée une reconnaissance de marque sur les plateformes de médias sociaux afin de stimuler le désir d’achat. Ensuite, elle intègre ces ressources extérieures dans son pool de trafic privé sur WeChat, ce qui peut être propice au réachat et à la fidélisation des consommateurs ».

Pourtant, dans une interview au magazine Forbes, Vincent Chen, cofondateur de Yatsen Global, la maison mère de Perfect Diary basée à Canton, tient à définir les fondamentaux de la marque : « La réputation ne se construit pas grâce au marketing, mais en maintenant une cohérence entre le bouche à oreille et la qualité des produits. La ‘puissance du produit’ est le moteur du développement et de la croissance de Perfect Diary ».

Influences occidentales

Sur son site Internet, la marque indique que ses partenaires de fabrication sont l’italien Intercos et le coréen Cosmax. Selon Reuters, Perfect Diary ouvrira son propre site de fabrication dans le Guangdong d’ici fin 2021.

Vendus à des prix accessibles, les produits de maquillage Perfect Diary sont très adaptés au partage sur les réseaux sociaux. Surfant sur l’appétit des jeunes Chinois pour les produits de consommation culturels, Perfect Diary a signé des collaborations avec le British Museum de Londres et le Metropolitan Museum of Art de New York. L’un des fruits de ces accords a été une édition limitée de huit rouge-à-lèvres présentés dans des packagings évoquant des cartes à jouer à l’effigie de portraits royaux appartenant aux collections des musées, dont Louis XIV, la reine Victoria, et Napoléon Ier.

Dans un même esprit ludique et photogénique, Perfect Diary s’est rapprochée des chaines Discovery et de National Geographic China pour créer des palettes de fards à paupières inspirées des faunes de la savane et des paysages chinois.

Magasins physiques

Selon le cofondateur Vincent Chen, le modèle « online + offline » de Perfect Diary a été l’un de ses principaux atouts pour contrer les effets de la pandémie de COVID-19. Lorsque les boutiques physiques ont dû fermer leurs portes, les vendeurs se sont mués en animateurs de live streaming. « En février, le nombre de sessions de live streaming Perfect Diary organisées sur la plate-forme de live streaming Taobao d’Alibaba a augmenté de 28% par rapport à janvier et les ventes ont augmenté de près de 170%  », précise-t-il dans son interview à Forbes.

Actuellement présente dans les principales villes chinoises, Perfect Diary prévoit d’ouvrir 600 boutiques à travers la Chine dans les trois prochaines années, couvrant ainsi les villes de toutes catégories. « Cette année, notre programme de lancement de 200 boutiques se concentrera sur les villes moyennes », annonce Vincent Chen. Mais le créateur le reconnaît, « le commerce électronique représente toujours la majorité de nos ventes ». Il se dit toutefois convaincu que « les magasins physiques deviendront un segment clé pour Yatsen Global et connaîtront la croissance la plus rapide dans les années à venir ».

En juin 2020, le groupe a annoncé le lancement d’une nouvelle marque, Abby’s Choice, plus axée sur les soins de la peau, et a réaffirmé ses ambitions internationales. Selon la presse chinoise, la nouvelle levée de fonds de US$140 millions est un préalable à une introduction prochaine à la bourse de New York. Perfect Diary pourra-t-elle pallier le manque de marque chinoise de beauté, de mode ou de lifestyle de rayonnement mondial, élément pourtant si bénéfique au soft power et à la séduction d’un pays ? Cette absence est d’autant plus notable face aux succès des voisins japonais et coréens.