Comment se passe le processus de création d’un parfum chez L’Oréal ?

Karine Lebret - On a créé un département olfactif pour trouver une méthodologie de développement adéquate à chacune de nos marques. Aujourd’hui, nous sommes 14 experts avec un background scientifique. Car il faut connaître le lien fondamental entre la chimie et les odeurs : une molécule ne va pas sentir la même chose selon qu’elle a un carbone placé en haut ou en bas. Nous sommes experts olfactifs mais nous sommes aussi imprégnés de la culture de chacune des marques.

Concrètement, la phase de recherche olfactive occupe 60 à 70% de notre temps. Pour Black Opium (d’Yves Saint Laurent) par exemple, on s’est interrogés sur la nature d’une addiction. Et le département a emmené les parfumeurs chez Nespresso à Lausanne, en se disant que le café pouvait être une nouvelle forme d’addiction universelle. On est tombés sur un accord café un peu mousseux, texturé, qui nous a intéressés et on est partis avec cette sélection de grains de café pour travailler autour.

Puis nous sommes passés au codéveloppement avec la marque. Le codéveloppement prend un ou deux ans, la phase en amont peut prendre jusqu’à six ans. En général, un parfum tout compris, c’est donc six à sept ans de développement jusqu’à la mise en bouteille.

Est-ce que la nécessité de plaire à un large public ne nuit pas à la créativité ?

Karine Lebret - Il y a l’enjeu de préserver la créativité tout en plaisant au plus grand nombre. On essaie de surfer sur des tendances qui fonctionnent et il n’y a pas de problème à cela. D’ailleurs, la popularité d’un parfum est le plus joli retour que l’on puisse avoir de notre travail.

Après, il y a la parfumerie d’exception, de niche, et, depuis quelques années, le secteur propose de la personnalisation avec aussi de la parfumerie digitale. On est en train de travailler sur une forme de digitalisation, mais il ne faut pas casser le mythe du parfum.

Entre ingrédients naturels et synthétiques, comment choisit-on, et ces choix sont-ils imposés par leur coût ?

Karine Lebret - Il n’y a rien de péjoratif dans le synthétique, il est là pour sublimer la nature. Au "cardex" (ouvrage de référence des produits utilisables en parfumerie), il y a 300 ingrédients synthétiques, un peu moins en naturels. Pour les ingrédients naturels, oui, il y a des questions de prix. Un iris peut coûter de 500 euros par kilo à 50.000 euros. Pour tous les ingrédients naturels, il y a une Bourse des matières premières, haussière et baissière en fonction des conditions météorologiques ou géopolitiques.

Mais pour autant, on n’a jamais formulé de parfum en disant : « on va utiliser plus de synthétique car ce sera moins cher ». Si on fait un parfum 100% naturel, cela ne répondra pas aux mêmes critères de parfumage qu’un parfum formulé « normalement ». Dans le naturel, aussi beau et pur soit-il, il y a des facettes négatives : par exemple quand vous sentez un absolu de tubéreuse, vous allez sentir une facette très verte qui va heurter. On va utiliser une molécule de synthèse pour venir polir et patiner cet aspect rêche de la tubéreuse.

Je pense qu’aucune matière synthétique ne peut reproduire à l’identique l’effet d’un naturel, et inversement. En revanche, ce qui est intéressant, à partir d’un naturel, c’est d’élaborer des molécules synthétiques qui vont avoir un beau rendu.