En votant, le 3 mai dernier, la proposition de loi présentée par le groupe Nouveau Centre à l’Assemblée nationale, et visant à interdire l’utilisation de perturbateurs endocriniens comme les phtalates, les parabènes et les alkylphénols, dans les produits de consommation, les députés français ont semé le trouble au sein de l’industrie cosmétique, en suscitant l’incompréhension des uns et la satisfaction des autres.

Incompréhension totale de l’industrie chimique

Du côté de l’Union des Industries Chimiques (UIC), le vote de l’Assemblée Nationale suscite la plus totale incompréhension. « L’interdiction de familles entières de substances présentant des profils toxicologiques, des utilisations et donc des niveaux d’exposition très différents est un non-sens scientifique, technique et réglementaire, » explique l’organisation qui représente les intérêts des industriels français de la chimie.

Face aux députés qui affirment que les effets de ces substances ne sont pas totalement connus, de même que leur interaction, l’UIC considère que la proposition de loi constitue «  une application excessive du principe de précaution ».

Là où le Nouveau Centre affirme que l’étude de la toxicité des perturbateurs endocriniens « repose encore sur la définition de doses journalières admissibles, alors que d’éventuels effets cocktails ou l’effet de petites doses régulières sont peu ou pas étudiés, » l’industrie chimique répond que tout cela est fort précipité sur le plan scientifique et technique puisque ni l’INSERM [1] ni l’ANSES [2] saisies par le Ministère de la Santé n’ont pas encore rendu leur évaluation définitive des risques. Selon l’UIC, il n’existe même pas de définition validée des perturbateurs endocriniens au niveau européen.

L’UIC insiste également sur l’utilité des substance incriminées dans la vie quotidienne : les phtalates permettent de rendre certaines matières plastiques souples, les parabènes empêchent la prolifération de micro-organismes pathogènes dans les produits cosmétiques et pharmaceutiques, et les dérivés d’alkyphénols sont utilisés comme émulsifiants. « Nombre de ces applications ne sont pas aujourd’hui techniquement substituables, » selon l’UIC.

Soutien des ONG et de la cosmétique bio

Du côté des ONG, le discours est bien évidemment très différent. André Cicolella, porte-parole du Réseau Environnement Santé, salue « le vote lucide et courageux des députés français » dont il espère qu’il ne sera pas sans influence sur la Commission et les États membres de l’Union européenne.

Pour les industriels de la cosmétique naturelle et biologique, le vote des députés français présente l’avantage de conforter leur propre discours sur les problèmes liés à l’utilisation de substances de synthèse. Pour Thierry Logre, Pdg des Laboratoires Phyt’s, l’un des leaders du marché des cosmétiques biologiques en France, ce vote conforte la stratégie de la marque qui, depuis sa création, il y a 40 ans, refuse l’utilisation des parabènes. «  Dès le départ, nous avons appris à faire des produits sans conservateurs de synthèse, selon une méthodologie qui nous est propre, » explique-t-il.

Thierry Logre, Laboratoires Phyt’s

En effet, pour Thierry Logre, il y a «  beaucoup trop d’interrogations sur ces substances ». Il souligne notamment les inconnues relatives à leur «  toxicité chronique, » pour laquelle l’évaluation est très difficile à effectuer. « Ainsi, lorsque l’on dit que les parabènes bénéficient d’un profile toxicologique très favorable, on ne parle que de leur toxicité aiguë, mais l’on fait mine d’ignorer les conséquences de l’accumulation des petites doses quotidiennement absorbées. »

Pour autant, Thierry Logre ne crie pas victoire. «  Les parabènes ne doivent cacher les autres conservateurs de synthèse, tels que le phénoxyethanol ou les précurseurs de formaldéhydes, » prévient-il. Et surtout, il sait bien que le texte de loi doit encore être voté par le Sénat qui devra résister aux « pressions du gouvernement ».

En attente d’un vote au Sénat

La proposition de loi du député Nouveau Centre Yvan Lachaud a, en effet, été adoptée contre l’avis du gouvernement et en dépit d’un vote négatif par la Commission des Affaires Sociales. À ce jour, son examen n’est pas inscrit à l’ordre du jour du Sénat pour les semaines à venir. C’est le gouvernement qui est maître de cet ordre du jour, mais les parlementaires disposent de la possibilité de faire examiner leurs propositions dans le cadre des «  niches parlementaires », c’est à dire de journées qui leur sont réservées.

Dans ce cadre, toutes les options sont possibles : du vote par les sénateurs de la proposition de loi dans les mêmes termes, ce qui la rendrait applicable dès sa parution au Journal officiel après promulgation par le président de la République, au rejet du texte, en passant un vote avec amendements, situation à ce jour la plus probable.

En attendant, sur les réseaux sociaux et les blogs consacrés aux cosmétiques, la tendance exprimée par les consommatrices était très nettement favorable au texte voté par l’Assemblée nationale. Ce qui fait dire à certains que, de toute façon, ces substances sont « médiatiquement mortes ».