Mais que veut dire ‘décarboner’ ? Comment faire ? Quelles sont solutions ? Sur ce point, nous pouvons faire un parallèle avec l’énergie.

Une énergie ‘dé carbonée’ est une production énergétique qui n’émet pas de CO2. Dans une acception commune, toutes les énergies renouvelables, ainsi que l’énergie nucléaire sont considérées comme « décarbonées » (cette dernière n’est toutefois pas une énergie renouvelable [1]). Mais attention, en réalité, aucune énergie n’émet « zéro carbone » si l’on intègre les étapes en amont et en aval de la production d’énergie (fabrication et traitement de fin de vie du panneau solaire, de l’éolienne, du réacteur nucléaire...). Il faudrait donc parler d’énergies « faiblement carbonées ».

Dans l’industrie de la beauté, décarboner signifie s’orienter vers des produits et des business models émettant le moins possible de CO2. En tout premier lieu en réduisant ses émissions à la source (consommer moins de matière et d’énergie). On peut, en plus, ‘compenser’, c’est à dire participer à des solutions de capture de CO2 compensant les émissions que l’on ne peut pas réduire plus.

Effets d’annonce et surenchères

Or actuellement nous assistons à une vraie surenchère d’effets d’annonces sur des actions de compensation. Ces mécanismes sont encore malheureusement peu encadrés et peu fiables. Qu’une marque se dise ‘carbon negative beauty’, ‘carbon positive’ ou ‘carbon neutral beauty’ n’est pas plausible sans référentiel normé, qui n’existe pas encore (après le ‘green washing’, il faudra donc faire avec le carbon washing !).

Emmanuel Faber, l’ancien Pdg de Danone, émettait l’idée que la mesure de l’impact carbone des entreprises soit faite avec les mêmes métriques, afin que les consommateurs fassent des choix éclairés. Des marques cosmétiques comme Cocokind (US) et Shiro (JP) ont commencé à apposer au dos de leur packaging le ‘break down’ de l’empreinte carbone du cycle de vie de chaque produit. Une initiative qui deviendra très probablement obligatoire dans les années à venir - l’alimentaire a aussi initié cela (La Fourche), tout comme les secteurs de la mode (score carbone voté en mars 21 pour les produits de grande consommation), des transports...

Incontournables 3R

Dans cette lignée, les solutions immédiates les plus efficientes consistent à passer au peigne fin les étapes des 3R (1.Réduire 2.Réutiliser 3. Recycler - en tout dernier). Selon Bertrand Piccard [2], la moitié de nos ressources naturelles seraient en effet gâchées et 95% de nos déchets seraient dilapidés alors qu’ils seraient si heureux d’avoir une autre vie ! [3]. Créer de la valeur avec nos déchets et en économie circulaire : c’est un tout nouveau champ de pensées et d’actions qui s’ouvre à nous !

Déjà assez présent en formulation cosmétique (Laboratoires Expanscience, Kadalys, État Libre d’orange, etc.), cette valorisation des « déchets » (ou upcycling) ne demande qu’à se renforcer. Demain, les nombreuses fermes verticales installées en villes seront une source d’approvisionnement potentielle pour les indie brands (sans entrer en compétition avec le domaine alimentaire). Idem pour les matériaux du pack : le développement rapide des techniques de recyclage moléculaire (et demain enzymatique - cf. Carbios) permet de redonner de la valeur (surcycler) à des matériaux jusque-là destinés à l’incinération ou à la décharge, pour les réintroduire dans la boucle sous forme de matériaux de haute qualité, le tout avec un bilan CO2 et une consommation de ressources très inférieurs à la production de matériau vierge (cf. Carbon Renewal Technology® d’Eastman pour le PET ou Borecycle™ de Borealis pour les polyoléfines).

Bien sûr, le meilleur déchet reste celui que l’on ne produit pas ! L’adage est d’ailleurs repris par la cosmétique solide (Pachamamai, Lamazuna, Umaï, Mélo ayurveda, Respire, etc.), à diluer (Neo, 900.Care) et/ou avec un système de consigne et de recharge (Amalthéa, Cozie, Naked shop, Floratropia, Zao…).

Nouvelles pistes d’amélioration

Un autre angle d’économie de CO2 est de consommer la juste dose (Clever Beauty), d’optimiser la récupération des formules liquides (Porex), de travailler bien sûr en circuits courts (Oden, Freedge beauty…) et/ou en biotech green (Codif). Diminuer le nombre d’ingrédients par produits (Yodi, Typology) et réduire les lancements (Minori) sont aussi des pistes incontournables. D’ailleurs, comment une marque pourra-t-elle se prévaloir d’être engagée en développement durable tout en continuant à lancer pléthore de produits ??

L’économie circulaire permet aussi de renforcer la sécurisation des ingrédients. Chez Mustela (certifié BCorp), la DG Sophie Robert Velut challenge ses équipes ainsi : « Nous sommes en 2028 et le pétrole n’est plus disponible en quantité suffisante, comment faites-vous pour assurer votre business » ? ou « Les ingrédients nécessaires à la fabrication des produits sont bloqués dans les pays, les coûts d’acheminements et les pénuries sont constants. Quel plan B avez-vous ? ».

En alimentaire, l’on voit poindre un nouveau modèle qui est celui de la ‘Regenerative agriculture’ (‘Regenerative Organic Certification’), qui vise à réparer les écosystèmes, restaurer la biodiversité, soigner le vivant. Elle a tout son sens pour les sols et les ingrédients. Attention aux extrapolations, qu’une marque cosmétique se dise ‘Regenerative’ est du green washing !

En conclusion, nous nous dirigeons vers une industrie écologique dotée d’une vraie force motrice, telle que prônée par Bertrand Piccard : « une protection de l’environnement rentable grâce aux nouvelles opportunités économiques  » [4]. D’ici 2030, il y a fort à parier que les entreprises devront s’aligner sur l’objectif ‘Zéro perte de biodiversité’, via un global biodiversity score (n.b. l’écocide est reconnu comme un délit depuis mars 2021). De manière vertueuses, elles feront de plus en plus alliance pour faire notamment face aux contraintes légales (construire des filières de recyclage, mettre les index de notation en open source, etc.). L’ère de la ‘Coopétition’ est arrivée (Coopération au-delà de la compétition) ! Cap vers les opportunités industrielles, cap vers les nouvelles logiques économiques et écologiques, enthousiasmantes et collectives !