Pierre-Henri Gouyon (Photo : © Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

Premium Beauty News - Quel regard portez-vous sur la génomique personnalisée et de l’épigénétique ?

Pierre-Henri Gouyon - L’information génétique est codée sous forme de message par l’intermédiaire de l’ADN, une molécule très stable. Il faut savoir que cette information prise isolément n’a aucune valeur, un gène ne fabrique rien. Cette information doit être lue par un système que l’on peut appeler le décodeur et qui se trouve dans un environnement donné. Ce système Message - Décodeur - Environnement (MDE) est interdépendant. J’aime comparer ce système au domaine culinaire ou la recette de cuisine est le message qui seul ne produira jamais un plat, le cuisinier est le décodeur et le laboratoire où il travaille ainsi que les ingrédients qu’il utilise constituent l’environnement.

L’épigénétique se situe au niveau du décodeur qui met en place des systèmes de lecture en fonction de nombreux éléments dont l’environnement et qui modifient la façon dont le message est lu. Les hormones, les systèmes de différenciation cellulaires, les mécanismes liés à la méthylation de l’ADN entrent en jeu. À partir d’un même message héréditaire, on a alors des réponses différentes. La science de l’épigénétique n’est pas récente car elle est apparue dans les années 1930, mais dernièrement il a été prouvé que certaines perturbations épigénétiques pouvaient se transmettre à l’échelle intergénérationnelle. Il y a une dizaine d’années, des chercheurs de l’Université d’Umea en Suède ont montré que deux générations plus tard dans un village du Nord de l’Europe, certains individus souffraient des mêmes maladies que leurs ascendants sans avoir connu les mêmes épisodes de famine / abondance propices aux diabètes et aux maladies cardiovasculaires. On a observé plus récemment que la perturbation du système reproducteur des femmes pouvait entrainer des anomalies dans le développement sexuel de leurs descendances filles. On voit ainsi très bien que l’on ne peut pas raisonner partiellement et que le système doit être pris dans son ensemble lorsque l’on s’intéresse à ce sujet.

Premium Beauty News - Votre laboratoire travaille sur les systèmes génétiques, l’adaptation et la domestication. Les problèmes liés au changement climatique agissent-ils sur ces systèmes ?

Pierre-Henri Gouyon - Au tout début de ma carrière, j’ai conduit des recherches sur la variabilité génétique des essences de thym aromatique. Six essences génétiquement différentes coexistaient dont une était présente dans une région au nord de Montpellier où les conditions climatiques hivernales étaient extrêmes. Dans les années 1960, la température dans ces contrées pouvait atteindre -30°C, dans les années 80 ce n’était plus que -20°C et maintenant le thermomètre descend rarement au-dessous de -10°C. 40 ans plus tard, on a observé que la conséquence de ces changements a été la disparition progressive des formes résistantes au froid. L’adaptation se fait par élimination des formes non adaptées.

Premium Beauty News - Vous avez coécrit Le fil de la vie : la face immatérielle du vivant, un livre sorti en avril 2016 aux éditions Odile Jacob dans lequel vous expliquez que l’information serait plus importante que la matière.

Pierre-Henri Gouyon - Oui nous proposons avec Jean-Louis Dessalles spécialiste du langage et de l’intelligence artificielle et Cédric Gaucherel spécialiste des écosystèmes et de leurs interactions avec la vie animale et humaine un regard complémentaire sur le vivant. La science occidentale est fondée sur l’étude de la matière et de l’énergie. De notre côté, nous regardons le vivant comme un ensemble de structures produites par l’information et capable de reproduire de l’information, génétique, sociale ou écosystémique. C’est l’information génétique qui se reproduit et non les êtres vivants. Le gène utilise les organismes vivants comme des véhicules pour se reproduire. L’information unit les organismes dans le temps, elle est capable de voyager d’organisme en organisme, d’y être stockée, transmise et de traverser le temps au-delà de la limite temporelle des organismes.