En effet, l’arrivée de ces nouvelles voix a profondément modifié le rapport d’une partie du public avec le parfum et a redéfini la relation que les marques entretiennent avec leur public, comme on peut aussi le constater en maquillage ou dans la mode. Ces consommateurs-éclairés ne détiennent certes pas tous le même niveau de connaissances sur le parfum. En revanche, la moyenne de ces connaissances tend à s’enrichir, inexorablement. Lancé en 2007, le site auparfum.com, enregistre depuis sa création une progression annuelle de ses visiteurs d’environ 25% et est à l’initiative de NEZ, première revue sur l’olfaction et le parfum, dont le N°1 sorti en avril, est déjà en rupture de stock. Autrement dit, les nouveaux consommateurs s’informent, décortiquent les discours des maisons de parfum et sont animés par un désir de comprendre et de parler-vrai poussant les marques à revoir leur communication.

Avec un niveau de connaissance moyen en constante augmentation, la faculté des consommateurs à discriminer les parfums entre eux selon leur qualité et leur originalité augmente aussi. Photo : © Minerva Studio / shutterstock.com

L’amateur préfigure ainsi le futur client de la parfumerie de demain, en France et dans le monde. Bien que la clientèle internationale joue encore son rôle de moteur, les plus fervents amateurs de parfums signés et qualitatifs participent aussi à la bonne santé de la parfumerie confidentielle et s’inscrivent dans cette dynamique globale du nouveau paradigme de consommation. Car la question de la rareté n’est plus le réel moteur de la désirabilité du produit, d’autant plus que cette notion n’est plus du tout caractéristique de l’offre en parfum de nos jours. Ainsi, la rareté n’intéresse pas fondamentalement les jeunes générations qui recherchent avant tout à entrer en affinité avec une offre spécifique et qui leur ressemble, comme l’explique Marielle Belin, consultante chez La Marque et la Manière.

La personnalisation est alors la nouvelle rareté, en témoigne les nombreux dispositifs de “diagnotics personnalisés” sur site ou en boutique comme on peut en voir chez Guerlain, ou dans la boutique de parfumerie confidentielle Nose. Si la personnalisation émerge aujourd’hui, c’est qu’elle succède à trois décennies d’intense démocratisation de la parfumerie, qui a mené à transformer les méthodes de créations des parfums de façon drastique. D’un système de création du parfum en amont, au plus proche des créateurs, la parfumerie s’est tourné vers l’aval, se concentrant sur les désirs des consommateurs. Or, ce modèle de production atteint désormais ses limites alors que la fréquentation des parfumeries sélectives est en baisse : entre 2011 et début 2015, la parfumerie sélective aurait perdu près de 1,6 million de consommateurs, comme l’indique un article paru dans Stratégies en février 2015.

Car qui dit personnalisation dit aussi distinction et originalité. Si une partie de la population n’achète plus de parfum (notamment les plus jeunes), c’est aussi parce que le parfum a perdu son pouvoir de distinction. Un nombre important de propositions olfactives faites en parfumerie sélective, sont issues de benchmarking de parfums à succès, parfois eux-mêmes produits à partir de références déjà existantes. Ce phénomène est particulièrement visible dans le TOP 20 masculin en 2015. Les parfums créés après 2006 et qui y figurent, tels que One Million de Paco Rabanne ou La Nuit de L’Homme d’Yves Saint Laurent, sont presque tous caractérisés par des notes dites boisées-ambrées. Considérées comme très masculines, elles impriment néanmoins sur ces parfums une sensation générique. Or, avec un niveau de connaissance moyen en constante augmentation, la faculté des consommateurs à discriminer les parfums entre eux selon leur qualité et leur originalité augmente aussi. De là à dire que les consommateurs amène d’ores et déjà l’industrie du parfum à revoir ses méthodes de créations, il n’y a qu’un pas.

Le grand défi de la parfumerie sera alors de réaliser l’exploit de rééduquer au parfum toute une partie des clients ayant perdu le lien avec le conseil, tout en séduisant de manière convaincante le public grandissant des amateurs. On sent d’ailleurs chez les professionnels une urgence à retrouver le chemin de la créativité et de l’inspiration. Et cette démarche porte déjà ses fruits alors que les grandes marques primées depuis trois ans par L’Olfactorama (un Prix justement créé par un groupe d’amateurs devenus experts, en 2012) sont loin d’être inconnues (Cartier, Guerlain et Hermès ont déjà gagné plusieurs distinctions dans les catégories Grand Public et Parfumerie Confidentielle).