François Lucan, Président, Albéa

Premium Beauty News - Quels sont les défis auxquels un groupe comme Albéa doit faire face au quotidien ?  

François Luscan - C’est presque une banalité, mais notre marché accélère : le nombre de lancements, le temps de développement, les délais d’approvisionnement, l’irruption des nouvelles tendances, tout va plus vite. Pour nous tous, les industriels, cela implique de renforcer nos fondamentaux, notamment en matière de performance opérationnelle. Et d’accélérer, simplifier, rendre plus efficaces l’ensemble de nos processus de décision, d’achat, de planification, de traitement, de fabrication, d’innovation. Même si l’on met souvent l’accent sur la technologie et le numérique - et ce sont de formidables leviers - je suis plus que jamais convaincu que ce sont les hommes et les femmes, leur créativité, leur adaptabilité, leurs valeurs, leur engagement qui feront, vraiment, la différence et assureront la réputation d’une entreprise et l’avenir de l’industrie. Les opportunités de l’industrie 4.0, la guerre des talents et l’importance de la formation, les enjeux de l’environnement sont nos défis aujourd’hui.

Premium Beauty News - Cela fait un peu moins de deux ans que vous vous êtes exprimé sur Premium Beauty news. Entre temps votre groupe a changé d’actionnaire. Quelles en sont les conséquences ?  

François Luscan - Quelques mots sur PAI Partners, le nouveau partenaire d’Albéa. Il n’est pas inutile de rappeler que son histoire remonte à 1872 et que cette société a contribué à l’industrialisation de la France à la fin du 19e siècle et au début du 20e. Aujourd’hui, PAI Partners a une vision d’investissement industriel basée sur le long terme et s’est concentré sur des secteurs bien spécialisés. La volonté de croissance de PAI est clairement affichée.

Avec notre ancien partenaire, Sun Capital, la priorité a été l’optimisation industrielle avec des investissements pour être plus rapide, plus performant, plus moderne. Je vous rappelle que cette période a également permis l’acquisition et l’intégration de sept entreprises dont la dernière en date, celle du fabricant de pièces en métal Covit en février 2018.

Avec PAI, il s’agit d’un nouveau chapitre de notre histoire qui est axé vers une croissance à la fois organique et externe. Notre plan stratégique est solide. Il est validé avec notre actionnaire et bénéficie du soutien de nos clients et des équipes.

Premium Beauty News - En deux ans, votre groupe a continué non seulement d’investir dans son outil industriel mais également dans la conquête de nouvelles parts de marché par acquisition.

François Luscan - D’une manière générale, il est bon de rappeler que nos investissements industriels ont continué sur un rythme de l’ordre de 80 millions de dollars par an, ce qui nous a permis d’innover, d’automatiser, d’intégrer de nouvelles lignes de production et d’augmenter ainsi notre capacité, nos performances, et d’acquérir de nouveaux procédés de fabrication.

En matière d’acquisitions, il faut souligner celles du fabricant espagnol de pièces métal Covit et d’un site de tubes laminés à Levice en Slovaquie. Vous savez que les pièces métalliques font partie des composants « critiques » pour des produits phares de notre portefeuille comme les tubes de rouge à lèvres et les pompes. Covit était l’un de nos fournisseurs stratégiques en Europe, et nous avions déjà un site aux États-Unis et des capacités en Chine. Avec cette acquisition, nous participons au développement d’un fournisseur de métal mondial, solide et reconnu par le marché. Nous développons aussi notre expertise ensemble, tout en conservant des modes de gestion assez indépendants.

Quant à la reprise du site de Levice, elle nous a permis de renforcer notre position sur le tube en Europe et d’intégrer un nouveau modèle d’affaires, qui combine grands comptes et petits clients, le tout avec un mode de fonctionnement très entrepreneurial

Cela me permet d’insister sur notre vision en matière d’acquisition mais aussi de joint-ventures et de partenariats. Je crois aux systèmes souples qui permettent de développer le savoir-faire, de croiser les moyens financiers, d’augmenter une capacité industrielle, le tout avec des logiques d’intégration qui peuvent être totales ou partielles quand il s’agit par exemple de préserver une liberté d’action entrepreneuriale ou de ne reprendre que des actifs industriels.

Premium Beauty News - Le digital, l’environnement, la responsabilité sociétale des entreprises, le full service sont plus que jamais des données majeures de notre époque. Comment vous adaptez-vous et quels moyens vous donnez-vous pour affirmer votre différence ?

François Luscan - J’estime qu’Albéa porte un engagement historique en matière de RSE et ceci depuis 2004. Notre conviction reste inchangée. C’est un levier de croissance, de réputation, d’attractivité à court-terme comme à long-terme. Je rappelle le prix « Luxepack in Green » obtenu en 2016 pour notre démarche. Mais il est clair que le contexte évolue rapidement. La RSE est de plus en plus importante pour nos grands clients. Les réglementations mondiales se font plus présentes. Le sujet est aussi important pour notre « marque employeur », pour nos employés et nos futures recrues, notamment pour les « millenials » qui sont encore plus engagés que leurs aînés. Et bien sûr l’environnement est un enjeu majeur pour les Etats et les associations internationales.

En ce qui concerne Albéa, notre approche s’appuie sur quatre piliers.

En premier lieu, les personnes. L’objectif est d’assurer la sécurité, le bien-être et la compliance sociétale de nos activités, mais aussi de développer les savoir-faire qui sont au cœur des métiers de l’emballage.

Le second concerne nos opérations avec la volonté de réduire notre empreinte carbone, énergie et eau.

Le troisième concerne les produits que nous fabriquons. Là, il s’agit de contribuer activement au développement d’une économie circulaire performante dans le secteur de l’hygiène-beauté, en lien avec l’importance du packaging primaire et en cohérence avec les engagements que prennent nos clients.

Le quatrième concerne tous nos partenaires, clients comme fournisseurs et associations. Nous avons d’ailleurs lancé une « Analyse de Matérialité » auprès de nos parties prenantes internes & externes. Cette Matrice va nous permettre de définir un nouveau plan RSE à 4 ans, en identifiant, priorisant et nous engageant sur les bons enjeux pour Albéa. Comme toujours, en assurant l’alignement avec notre écosystème et en impliquant nos équipes. Les résultats sont attendus d’ici la fin de l’année.

Concernant la montée en puissance du digital, il est un fait qu’elle change nos modes de consommation, de communication, de partage de données, l’interaction avec les consommateurs, les marques et les fournisseurs. Le digital permet l’émergence des influenceurs, des e-stores, des ‘indie’ brands, et contribue à la beauté connectée. Il permet aussi d’innover de façon plus collaborative et transversale, avec agilité et vitesse.

Le digital participe aux défis de l’Industrie 4.0 auxquels nous nous attelons. Nous devons nous adapter à un monde toujours plus complexe, volatile, incertain et ambigu. Un monde toujours plus digital et interconnecté et qui, en plus, s’accélère. Pour ce qui nous concerne, l’industrie 4.0 englobe le prototypage 3D, l’impression digitale, la robotique, l’intelligence artificielle mais aussi « l’open innovation », la créativité, l’intelligence humaine … L’Industrie 4.0 repose sur le développement des compétences et des équipes, l’acquisition de nouveaux talents dans un contexte mondial de guerre des talents, la simplification des processus industriels et administratifs. Vaste chantier !

Quant au Full Service, je rappelle les propos tenus récemment par Xavier Leclerc de Hauteclocque, responsable chez nous de l’activité Beauty Solutions qui pèse près de 100 millions de dollars. Cette activité accompagne l’évolution du marché vers des solutions ‘turnkey’, clé en main. Nous avons recruté de nouvelles compétences, notamment en formule - non pas pour faire le travail des formulateurs mais pour anticiper les tendances sur les formules et les impacts sur le pack et ainsi faire gagner du temps à nos clients ! Nous souhaitons collaborer avec les formulateurs, chacun dans son expertise, et proposer aux marques une gestion de projet adaptée. Nous développons aussi notre écosystème de fournisseurs et partenaires, notamment autour d’exigences fortes en matière de qualité et de RSE. Et bien sûr, nous structurons notre proposition de valeur pour répondre aux besoins de chaque typologie de clients. Sur le Full Service aussi, nous croyons à la valeur d’un écosystème !

Premium Beauty News - L’année 2018 sera-t-elle un bon cru pour Albéa et quelles sont vos prévisions pour 2019 ? 

François Luscan - Je n’ai pas de boule de cristal mais le marché est en croissance partout dans le monde, notamment sur le sélectif et sur quasiment tous nos segments. Globalement, je peux donc dire que le premier semestre 2018 est encourageant et que l’année devrait être une autre année de croissance, autour des 3-4% que nous visons. Mais pour cela, nous devons apporter de la ‘peace of mind’ aux clients qui nous accordent leur confiance - et nos équipes sont mobilisées pour cela.

Ceci dit, si je regarde un peu plus loin, notre marché évolue vite. Du côté des clients, il y a des grands groupes mais aussi de plus en plus de petites marques. Leurs besoins sont différents, surtout si on effectue une segmentation encore plus fine. La plupart sont en croissance, avec des modèles d’affaires très différents. L’enjeu est d’accompagner la croissance de ces différents marchés en parallèle, avec des offres adaptées.

Du côté des produits, l’innovation doit être plus rapide et plus personnalisée. Il faut donc avoir une organisation agile, avec une bonne gouvernance entre le local et le global, entre le design tendance et l’innovation de rupture, entre l’animation de nos gammes existantes et la course à l’armement de la nouveauté, entre le standard et le spécifique où nous sommes reconnus par le marché pour la solidité de notre process et la qualité de nos experts techniques.

Premium Beauty News - Vous parlez beaucoup de l’enjeu que représente l’environnement.

François Luscan - L’actualité du plastique nous concerne tous ! Nous Albéa, bien sûr, mais aussi nos fournisseurs, nos clients, leurs consommateurs. Sur ce point, la partie la plus visible concerne la fin de vie des produits et emballages plastiques, notamment ceux dits single-use. Or la consommation de single-use augmente mathématiquement avec l’urbanisation, la démographie, l’affluence… Tous les secteurs sont concernés, des sacs de sortie de caisse aux paquets de chips, en passant par les bouteilles d’eau, les détergents et… l’hygiène-beauté.

L’enjeu pourrait se résumer à passer de single-use à recyclable et recyclé. Ce qui implique à la fois les filières de collecte et leur couverture territoriale, les filières de traitement (mise en décharge, incinération… et recyclage) et leur efficacité environnementale à court, moyen et long terme, et bien sûr les règlementations sur les matières plastiques autorisées pour telle ou telle application. Sans oublier la fiscalité des filières de collecte et de traitement des déchets qui doit favoriser de nouveaux équilibres économiques.

Pour l’industrie cosmétique en particulier, compte-tenu du faible volume global et de la petite taille des packagings, de leur image (ce sont de beaux objets avant d’être des emballages plastiques), de leurs fonctionnalités (qui impliquent souvent de multiples composants et matériaux), l’enjeu principal aujourd’hui est le développement d’une économie circulaire performante sur toute la chaîne de valeur : comment organiser des systèmes de collecte adaptés, comment faire évoluer la règlementation fiscale et environnementale comme de santé publique pour accompagner cette transition. Et pour nous, industriels fournisseurs, comment continuer à intégrer l’eco-design (moins de composants, moins de matériaux, moins de plastique…) mais surtout le « circular design » afin de rendre nos emballages réutilisables ou recyclables, et utiliser des matières premières recyclées (Post Consumer Recycled) ou biosourcées.

C’est un vrai défi pour toute notre industrie, et je suis convaincu que nous saurons, avec nos clients et nos fournisseurs et nos concurrents, le relever avec éclat.

Premium Beauty News - Est-il facile d’être aujourd’hui un fournisseur de packs avec ses contraintes industrielles dans un monde où tout va très vite, quelquefois "trop vite" et où la légitimité industrielle et technique n’est plus considérée à sa juste valeur ?  

François Luscan - Je suis fasciné par l’industrie cosmétique et je suis fier d’être un industriel de ce secteur. Nous avons d’ailleurs été rejoint par plusieurs managers qui avaient fait leurs armes dans l’automobile et ils me disent que la cosmétique est plus rapide, plus imprévue, plus enthousiasmante du fait des innombrables et constants défis auxquels il faut faire face.

Pour moi, l’industrie ce sont des hommes, des sites, des territoires, une histoire, des compétences rares. Ce n’est pas une contrainte, c’est une valeur. D’où l’importance de la RSE pour mon groupe. Les défis me passionnent et le défi aujourd’hui est de rendre agile l’industrie et de miser sur l’audace, la créativité et le digital.

Premium Beauty News - Votre vision a toujours été de prédire une accélération des concentrations industrielles. Votre groupe en est l’un des acteurs principaux. Pensez-vous qu’elles vont continuer ?  

François Luscan - Oui la concentration va continuer. Le marché a beaucoup changé avec cette notion de time to market, le digital, l’importance de la vitesse et de l’agilité, le buzz des turnkey solutions. Il y a beaucoup de nouveaux entrants, beaucoup de nouveaux modèles d’affaires. Il va falloir que tous les acteurs d’aujourd’hui, les petits et les grands, les anciens et les nouveaux, s’adaptent rapidement.

Pour ma part, comme je l’ai dit plus haut, je crois beaucoup aux partenariats. Dans ce monde complexe, il faut trouver des opportunités gagnant/gagnant. Il faut s’associer sur une région ou dans le monde, sur un segment ou sur un marché. Fondamentalement, je considère qu’une opération financière, qu’il s’agisse d’acquisition ou de partenariat ou de joint-venture ou de cession d’actifs, n’a pour seul objectif que de toujours mieux servir nos clients. La compatibilité des valeurs est essentielle, la qualité des équipes aussi. Je veux agrandir ma famille, pas éliminer des concurrents ni me lancer dans des restructurations éprouvantes qui ralentissent la croissance de mon groupe.

Premium Beauty News - Quelles seront les principales nouveautés que votre Groupe présentera dans les prochaines semaines et, en particulier, à l’occasion du salon Luxe Pack Monaco ?

François Luscan - Le stand Albéa 2018 sera conçu comme un magasin éphémère (pop-up store) où l’on pourra vivre une véritable expérience retail : des produits que l’on peut toucher comme en magasin, des espaces personnalisés, du digital et des tendances.

Les visiteurs y découvriront des corners adaptés au positionnement de leur marque, notamment un espace Green regorgeant de solutions innovantes et respectueuses de l’environnement ainsi qu’un bar à formules présentant notre offre de solutions « pack + formule » clé-en-main.

Parmi les produits phares, notons des tubes et pompes mousse en PE bio-sourcé et en plastique Post-Consumer-Recycled – dont certains seront en lice pour le prix Luxe Pack In Green. Et pleins d’additions à la vaste gamme de solutions standards Albéa pour toutes les marques, toutes les applications, toutes les régions - du tube ovale au pack airless, en passant par des décorations surprenantes, de nouvelles brosses de mascara, des masques, et même des lignes complètes de maquillage….