Aïmara Coupet

Premium Beauty News - Pourquoi l’offre proposée en maquillage aujourd’hui ne correspond-elle toujours pas à ce que les femmes attendent ?

Aïmara Coupet - Il faut quand même noter qu’il y a aujourd’hui une vraie volonté de s’ouvrir à tous. Le marché a beaucoup évolué concernant les peaux de couleurs par rapport à la situation il y a une vingtaine d’années. Il y a plus de teintes. Mais si l’on veut vraiment satisfaire en maquillage une peau métissée à foncée, il faut aller plus loin, travailler l’innovation, et pas seulement ajouter de teintes, ce n’est pas suffisant. Il y a très peu de Recherche & Développement en général dans les laboratoires sur ces peaux-là, alors qu’elles sont spécifiques et très différentes des peaux caucasiennes. Ce type de peau reste assez méconnu. Il existe par exemple très peu d’actifs objectivés sur phototypes 5 ou 6 à disposition. D’ailleurs, si l’on regarde la segmentation du marché en soin, la moitié est dédiée aux produits antirides qui ne représentent absolument pas un besoin des peaux foncées.

Premium Beauty News - Quelles sont ces spécificités ?

Aïmara Coupet - Il y en a plusieurs mais les principales sont, l’hyperpigmentation et la dyschromie, c’est à dire une peau plus ou moins pigmentée selon les endroits du corps ou du visage. On constate un manque d’uniformité, certains endroits sont très foncés d’autres plus clairs. On observe aussi des différences dans la cicatrisation, qui laisse généralement des tâches. Enfin, la tendance à avoir une peau plutôt mixte à grasse, ce qui ne veut pas dire qu’elle n’est pas déshydratée, bien au contraire. Le déséquilibre entre la production de sébum et la déshydratation est un élément important à prendre en compte. Les peaux foncées déshydratées affichent bien souvent une peau terne, en manque d’éclat. Ces spécificités impactent directement sur le résultat maquillage. Dans les points positifs, c’est un épiderme plus résistant, plus ferme, moins sujet aux rides et au photo-vieillissement, ayant un risque moins élevé de développer un cancer de la peau. C’est l’une des raisons pour laquelle je recommande de ne pas ajouter un SPF dans un fond teint surtout s’il empêche d’obtenir une teinte lumineuse, qui ne grise pas ou ne ternie pas le teint. Un soin solaire protecteur pourra le remplacer au besoin, en maquillage je privilégie le résultat, un fond de teint doit d’abord donner un beau teint. Il faut prendre également en considération les différences physiologiques, comme celles des lèvres par exemple, plus charnues, souvent bicolores et parfois très texturée. C’est important dans la conception d’un rouge à lèvres.

Premium Beauty News - Comment mieux développer sa gamme avec de nouvelles teintes plus adaptées ?

Aïmara Coupet - La première question à se poser est « est-ce que la formule est une bonne formule pour obtenir de jolies teintes plus foncées ? ». Certaines textures sont beaucoup trop grasses, trop brillantes, pour les peaux foncées et le résultat maquillage en pâtit. D’autres formules ne vont pas permettre d’accepter assez de pigments. Or, faire une teinte plus foncée n’équivaut pas à juste augmenter du noir, cela veut dire devoir travailler aussi sur les autres pigments. Par ailleurs, certains pigments ne se révèlent pas bien sur peaux foncées, comme certains marrons qui parfois virent au rose par exemple, ou des jaunes qui donnent un résultat gris ou verdâtre. Les pigments que l’on intègre sont donc très importants, il faut les travailler en accord avec la formule. Je constate que les ingrédients les plus adaptés existent mais ne sont pas encore réellement identifiés pour une application sur peau noire. On est encore dans l’apprentissage, dans l’essai-erreur…

Premium Beauty News - Que recommandez-vous aux marques pour améliorer leur offre ?

Aïmara Coupet - Dans le cadre du maquillage, il faut avant tout penser au résultat, être maquilleur plutôt que marketeur. Les marques doivent changer de perspectives. Au lieu de faire du copié/collé de formules destinées aux peaux caucasiennes, elles peuvent renforcer une R&D spécifique. Pourquoi ne pas travailler dans l’autre sens ? Pourquoi une innovation adaptée à une peau foncée ne pourrait-elle pas être déclinée pour peaux claires ? Il faut penser autrement. C’est la mission de l’industrie que d’aller vers le métissage. Les peaux métissées seront la majorité des consommateurs de demain.