Sans remonter à l’histoire de la colonisation, Haïti a souffert dans les années récentes de plusieurs phénomènes qui ont aggravé une situation déjà extrêmement précaire :

- Au chapitre catastrophes naturelles, le tremblement de terre de 2010 a fait plusieurs centaines de milliers de morts, des dégâts matériels considérables… sans compter les ouragans de la fin d’été qui balaient à intervalles réguliers cette île des Caraïbes,
- Au chapitre politique, un pouvoir sous influence qui subit comme dans de nombreux pays les affres de la corruption et du manque de compétence.
- Enfin l’aide internationale, la force déployée par l’ONU - nommée MINUSTAH - a permis d’assurer une certaine stabilité et sécurité à partir de 2004, avant que la décision ne soit prise en 2017 de la retirer définitivement…abandonnant un pays sans armée ni police à la loi des gangs. Du côté de l’aide humanitaire, malgré les milliards de dollars déversés au cours des dix dernières années, la présence de dizaines d’ONG, rien n’a structurellement changé que ce soit en termes de développement ou d’autosuffisance alimentaire.

Citrons et racines de vétiver

Citrons et racines de vétiver

Dans ce contexte, la filière du vétiver fait office d’exception et pourrait d’ailleurs servir de modèles aux stratèges occidentaux censés apporter des solutions au pays en développement.

La racine de vétiver utilisée pour fabriquer l’huile essentielle est cultivée dans la région des Cayes (partie Ouest de l’île) par des petits cultivateurs indépendants, parfois regroupés en coopératives, qui en retirent un revenu de subsistance conséquent à une échelle de plusieurs dizaines de milliers de familles de la région. Les racines sont collectées par des usines qui assurent la distillation du produit avant que l’essence ne soit exportée aux parfumeurs et société d’aromathérapie du monde entier.

L’essence de vétiver qui se négocie aujourd’hui à plus de 350 dollars le kilo représente le premier produit d’exportation de l’île et surtout le seul produit transformé dans le palmarès des exportations… les autres produits phares comme la mangue, le cacao ou le café sont exportés sous forme de produits agricoles, très peu voire pas transformés.

L’essence de Vétiver haïtienne détient un autre record puisque ce pays est aujourd’hui le premier producteur mondial, loin devant l’Indonésie, Madagascar ou encore l’Inde ; le marché global représente une centaine de tonnes d’essence dont Haïti assure plus des deux tiers de l’approvisionnement.

Dernier record, et pas des moindres, l’essence haïtienne est jugée supérieure à toutes les autres qualités par les parfumeurs des grandes maisons, et bénéficie ainsi depuis toujours d’une prime en termes de prix par rapport aux autres origines.

Les parfumeurs utilisent principalement deux produits dérivés de cette racine miracle : l’huile essentielle et l’acétate de vétivéryle obtenu à partir de l’essence après diverses transformations chimiques. (pour la fabrication de l’acétate de vetivéryle les qualités moins nobles d’essence de vétiver sont utilisées).

Le miracle de cette filière n’est pas tombé du ciel, n’a pas été le résultat d’une aide internationale quelconque, mais s’est construit depuis 40 ans grâce au travail d’entrepreneurs locaux particulièrement déterminés.

Pourtant derrière cette réussite éclatante de nombreux nuages sont venus s’amonceler récemment :

- La région des Cayes - bénéficiant des retombées économiques de cette filière - vit très bien en comparaison des autres régions de l’île, et n’a jusqu’à présent pas subi d’émeutes ou de soulèvements populaires violents comme c’est régulièrement le cas dans la capitale Port au Prince… Ce statut privilégié est en train de voler en éclat.
- L’instabilité politique couplée à une absence totale de forces de l’ordre (depuis le départ de la MINUSTAH en 2017) livre le pays - et pas seulement Port au Prince - à la loi des gangs qui mettent la main sur une part croissante des richesses du pays.

La situation de la filière du vétiver interroge pour la nouvelle saison de récolte qui s’annonce : les usines de distillation vont bientôt rouvrir, et l’activité est censée reprendre à partir du mois de décembre.

L’agitation sociale risque d’avoir un impact très négatif sur la chaîne d’approvisionnement des racines. Le transport de l’huile essentielle depuis la zone de production des Cayes jusqu’à l’aéroport de Port au Prince ou celle-ci est exportée, n’est pas sécurisée…sur plus de 300 kms. L’inquiétude est d’autant plus palpable que l’administration américaine (principale bailleur historique du pays, en direct ou au travers de l’ONU) a décidé de totalement se désengager… laissant le pays partir à la dérive.

L’industrie du parfum, pour protéger ses filières de naturels stratégiques mais aussi contribuer à l’amélioration des conditions de vie des populations locales, avait eu la bonne idée en 2008 de se grouper dans une association sans but lucratif, le NRSC. L’objectif étant de gérer ensemble des problématiques de filières extrêmement complexes qu’une seule entreprise n’aurait jamais pu surmonter. Il semble que cette association ait été dissoute…dans la plus grande discrétion d’ailleurs, quel dommage !

La grande dépendance de l’industrie du parfum vis à vis de cette origine d’essence de vétiver, n’est pas sans rappeler le scénario de la filière de la vanille à Madagascar (ingrédient phare dans les arômes alimentaires), agitée depuis des années par une crise sans précédent, par son ampleur mais aussi sa durée.