Plus 565% de croissance en 2022 pour Les Secrets de Loly, quatre ouvertures en moins de quatre ans pour Baraboucle, dont la dernière est imminente à Lille, des marques venues des États-Unis ou du Royaume-Uni, comme Carol’s Daughter ou Bouclème : le marché français du soin naturel pour cheveux texturés est en effervescence !

Le terme « cheveux texturés » est finalement assez récent. Il englobe tous les types de chevelure qui ne sont pas lisses, donc les cheveux ondulés, bouclés, frisés et crépus. « Il n’y a encore pas si longtemps, on parlait de cheveux ethniques. On revient de loin ! Nous sommes entrés chez Carrefour dans les années 2000 avec une opération dite “tropicale” et nous sommes longtemps restés dans le rayon “du monde” avant de rejoindre bien plus tard le rayon des capillaires », se rappelle Jean-Claude Cheffre, dirigeant de la marque Activilong du groupe Labomai (Laboratoires Miss Antilles International) créée en 1953 par sa mère, Yannick Cheffre [1].

« Pendant longtemps, en France métropolitaine, on a assisté à une exclusion presque totale des cheveux texturés dans les linéaires des magasins et même chez les coiffeurs, qui ne savent pas coiffer ce type de chevelure », souligne Camille Scouarnec, cheffe de produit chez Énergie Fruit.

Du défrisage au Jheri curl de Michael Jackson à la boucle décomplexée

À partir du milieu des années 1970, s’opère un grand mouvement vers la métropole de Français originaires des DOM-TOM. C’est à ce moment-là que l’on voit éclore les premiers salons spécialisés. À l’inverse de ceux qui ouvrent aujourd’hui, les techniques en vogue à cette époque sont la modification de la texture avec l’incontournable défrisage, les boucles artificielles venues des États-Unis et popularisées par Michael Jackson, la coloration chimique...

« Des looks dénaturants que l’on retrouve partout : à la télévision, dans les pages beauté des magazines, et qui s’implantent petit à petit dans les mentalités. Résultat : quand nous laissons nos cheveux au naturel ou que nous les tressons, c’est comme si nous n’étions pas coiffées », raconte Josiane Ologbi, fondatrice de la marque minimaliste Iwalewa. « Aux États-Unis puis en Europe, nous sortons aujourd’hui progressivement de ces idées reçues et c’est fantastique ! C’est encore dur pour certains pays d’Afrique, comme le Sénégal où je me rends très régulièrement. Il est difficile de se défaire des normes de beauté ancrées depuis des dizaines d’années, mais c’est en cours », sourit-elle.

En plus de la pression liée aux normes esthétiques - voire sociales - opposées à la nature des cheveux, les pratiques de défrisage et autres modifications de texture s’avèrent très agressives et posent des questions sanitaires : cheveux brûlés, cassés, ultra-sensibilisés. Une étude américaine récemment menée par les National Institutes of Health (NIH) a même montré un lien entre l’utilisation de produits de défrisage et le développement du cancer de l’utérus.

Une montée en puissance au départ plutôt discret

« Quand j’ai créé Les Secrets de Loly en 2009, l’offre en France pour les cheveux texturés était assez marginale, mais il y avait déjà un mouvement de rejet contre les produits bourrés de silicone et donc un besoin urgent de soins aux composants naturels », raconte Kelly Massol, fondatrice de la marque Les Secret de Loly, dont un produit se vend toutes les huit secondes aujourd’hui en France !

Quant à Michele Scott-Lynch, fondatrice de la marque anglaise Bouclème, qui arrive progressivement depuis le début de l’année sur le marché français, elle explique que c’est lorsque sa fille lui a demandé de se lisser les cheveux qu’elle a eu le déclic. « J’avais passé toute mon adolescence et ma vingtaine à me battre contre mes cheveux, en essayant de modifier leur aspect et de les lisser et, par conséquent, à les abîmer. Il n’était pas question que l’histoire se répète ». C’est ainsi qu’elle lance, en 2014, une marque pour prendre soin de chaque type de boucles en proposant des routines adaptées pour les nettoyer, les revitaliser et les définir.

« Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que plus les cheveux sont bouclés, plus les longueurs sont sèches et plus ils ont besoin d’hydratation », souligne Camille Scouarnec. En effet, le sébum s’accumule en racines, freiné dans sa course par le relief, laissant les longueurs et les pointes dépourvues d’hydratation. « Chez Énergie Fruit, notre leitmotiv est d’offrir des produits pour tous à la composition clean et transparente sans compromis sur le plaisir et l’efficacité. Depuis la création de la marque en 2012, nous proposons un shampooing et un masque à destination des cheveux bouclés sous le nom “Coco Curl”. En échangeant avec notre communauté d’internautes, nous nous sommes rendu compte que la routine n’était pas complète. C’est pourquoi nous avons sorti cette année une gelée coiffante, une huile sublimante, antifourche et anticasse. De plus, nous avons également lancé la gamme Nutri-Intense avec trois produits : un shampooing, un masque et un lait coiffant, pour les cheveux frisés à crépus », précise Camille Scouarnec.

Réseaux sociaux, confinements, boom de la naturalité : l’effet boule de neige

« Avec la multiplication de l’offre, les distributeurs s’intéressent dorénavant de très près au segment des cheveux texturés », sourit Jean-Claude Cheffre. Jusqu’alors, les Françaises et Français à la chevelure bouclée et crépue n’avaient pas beaucoup d’autres solutions que de commander des produits à l’autre bout du monde ou d’aller les acheter au prix fort chez une poignée de revendeurs, souvent uniquement présents dans les grandes villes.

« Avec Les Secrets de Loly, mon ambition a toujours été, d’une part, d’offrir une gamme de produits naturels destinée à l’entretien de la boucle et, d’autre part, de rendre cette marque accessible à tous ! C’est pourquoi, avec mon directeur commercial, nous travaillons sans relâche sur notre réseau de distribution. Nous sommes chez Monoprix, dans des milliers de pharmacies et de parapharmacies, chez des coiffeurs et, depuis le 18 septembre dernier, nous sommes chez Sephora », raconte Kelly Massol [2].

La marque a également effectué un travail exemplaire sur ses réseaux sociaux, passant de 20.000 followers fin 2017 à plus de 250.000 en septembre 2023, notamment grâce à la création de boxes de Noël avec des influenceuses telles que La Petite Gaby, Babyatoutprix, Kaaymbl, Crazy Sally… La marque a même osé diffuser sa première campagne de publicité télévisée en novembre 2020, en plein confinement, sur les chaînes du groupe TF1. Elle sera vue par 2,5 millions de personnes. Un véritable coup de génie de la part des Secrets de Loly dont les revendications sont d’oser – enfin – porter ses cheveux au naturel. Pendant cette période de retour à l’essentiel, on a pu voir exploser la tendance de la “beauté naturelle“, aussi bien en haircare qu’en skincare.

Morgane Brisson, fondatrice des salons de coiffure Baraboucle affirme qu’il y a vraiment eu « un “avant” et un “après” confinements dans l’émancipation de la boucle au naturel. Je pense que les gens ont pris conscience du bien-être que cela faisait à leurs cheveux de ne plus être tout le temps lissés et attachés ». Après trois ouvertures à Paris entre 2020 et 2023, Baraboucle doit ouvrir sa quatrième adresse à Lille en novembre, permettant de capter la Belgique où la demande est forte et de répondre aux besoins des Lilloises et des Lillois qui n’hésitaient pas à faire l’aller-retour à Paris simplement pour venir se faire conseiller et coiffer. Il faut compter en moyenne six semaines d’attente pour avoir un rendez-vous dans l’un des trois établissements actuels de l’enseigne, ce qui montre la nécessité de démocratiser l’offre de soins, mais également d’augmenter le nombre de lieux de prise en charge de la boucle.

Enseignement et formation des coiffeurs : la filière s’organise

Depuis la rentrée dernière, une certification entièrement consacrée aux cheveux bouclés, frisés et crépus est proposée dans cinq centres pilotes habilités (en Île-de-France, dans l’Hérault, en région Sud, en Moselle et en Normandie) et d’autres établissement devraient rapidement rejoindre la liste. Ce certificat, d’une durée de 217 heures, soit 31 journées, comportera 8 modules.

« La mise en place de cette certification est un véritable progrès pour la filière et l’effet d’annonce est sympa et montre bien qu’il y a de véritables lacunes en termes de coiffure et de soin du cheveu texturé. En revanche, cela va prendre des années à se mettre en place et cela concerne seulement les personnes sur les bancs de l’école », réagit Kelly Massol. « La réalité aujourd’hui est qu’il y a moins de deux cents salons de coiffure en France qui savent s’occuper de cette chevelure. Un problème que Les Secret de Loly pointe du doigt depuis pas mal de temps déjà, notamment avec le métissage toujours plus grandissant dans notre pays. On ne se rend pas compte du nombre de mères blanches qui emmènent pour la première fois leur fille aux cheveux crépus chez leur coiffeur habituel et se retrouvent face à un mur. Elles se comptent par milliers », précise-t-elle. C’est pourquoi la fondatrice des Secrets de Loly donne naissance à son académie de coiffure spécialisée dans les cheveux texturés à compter du premier trimestre 2024 dans le 7e arrondissement de la capitale. Le lieu sera destiné uniquement à la formation des professionnels déjà en poste.

Parallèlement, L’Oréal a orchestré, en 2019, aux côtés des professionnels du secteur, une réflexion pour la revalorisation du secteur de la coiffure qui a conduit le groupe français à créer Real Campus. « À moitié école de coiffure, à moitié école d’entrepreneuriat, elle délivre un bachelor. Il s’agit du diplôme le plus haut que l’on puisse passer dans la coiffure. Au sein de Real Campus, des bootcamps cheveux bouclés, frisés, crépus sont organisés formant aux différentes techniques de rituels de soin, de massages, de coiffages et de coupes », conclut Margarida Condado, directrice générale adjointe développement international de la division Produits Grand Public de L’Oréal.