Après avoir défendu son indépendance toute sa vie, Giorgio Armani, décédé début septembre à 91 ans, a confié à ses héritiers le soin de vendre son groupe. Giorgio Armani a cité les groupes français L’Oréal et LVMH comme repreneurs potentiels, ainsi que le géant franco-italien des lunettes EssilorLuxottica. En cas d’échec de cette solution, le styliste a demandé que sa société soit introduite en Bourse.
Cette année a également été marquée par le départ de Donatella Versace, qui a laissé les rênes de sa marque à son concurrent Prada pour former un nouveau géant du luxe.
"Ce sont les dernières années de la première génération de créateurs italiens, on est en plein remaniement", a commenté une responsable d’une grande maison de mode milanaise, jeudi 25 septembre, en marge d’un des défilés de la semaine de la mode qui se termine lundi.
Cession des "pépites"
Dans un pays qui favorise les PME, un grand transfert commence à se matérialiser dans les chiffres. En 2012, 76,8% des entreprises de mode italiennes avec plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel étaient encore dirigées par la famille fondatrice. Elles n’étaient plus que 57% en 2022, selon une enquête de l’Observatoire Aub publiée en 2024. De plus, les rachats de pépites italiennes par des groupes étrangers se sont multipliés depuis 30 ans.
Le roi des imprimés Roberto Cavalli, décédé en 2024, avait cédé sa marque en 2019 à un conglomérat émirati. La marque de chaussures Sergio Rossi appartient au Chinois Lanvin Group et les baskets Golden Goose à un fonds londonien.
Dolce & Gabbana, Brunello Cucinelli ou Missoni sont restées des maisons indépendantes. Mais la taille des groupes italiens reste limitée : le champion italien Prada, qui va engloutir son rival en crise Versace, devrait afficher un chiffre d’affaires cumulé d’environ 6 milliards d’euros.
C’est très loin des 84,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires des géants du luxe LVMH en 2024 (avec les marques italiennes Fendi, Bulgari, Loro Piana, Emilio Pucci, ou des parts dans Tod’s), ou des 17,2 milliards d’euros de son concurrent Kering, maison mère de Gucci, Bottega Veneta, Brioni et des bijoutiers Pomellato et DoDo.
"L’Italie n’a pas eu un homme d’affaires assez inspiré pour réussir à agréger un conglomérat. Il y a eu quelques tentatives, mais elles n’ont pas été couronnées de succès", analyse Luca Solca du cabinet Bernstein. "Armani est une très bonne démonstration que l’espoir de voir émerger un conglomérat italien est un peu utopique."
Nouvelle ère
À l’échelle mondiale, le luxe entre dans une autre époque, qui pourrait profiter aux Italiens, selon Bernardo Bertoldi, professeur d’économie à l’université de Turin. LVMH et Kering ont su capitaliser sur des clients en Asie ou au Moyen-Orient qui découvraient le luxe, et étaient prêts à payer cher pour une image de marque, mais ils ont vu leurs recettes baisser. Selon lui, des consommateurs "plus sophistiqués" seront moins attirés par ces supermarchés du luxe et "iront chercher le meilleur artisan de chaussures à talons".
Vendredi, en marge du défilé de Tod’s au Pavillon d’art contemporain de Milan, une douzaine d’artisans démontraient leur savoir-faire sur des sacs et des chaussures. Dans un tel monde, selon Bertoldi, le prix n’est pas un problème.
À l’image de ce que l’Italie a su faire dans le domaine de l’alimentaire, la mise en avant des savoir-faire artisanaux et locaux, du slow craft, pourrait ainsi constituer le socle d’un renouveau pour son secteur du luxe.
























