À Grasse, berceau mondial de la parfumerie, la rose de mai est en fleurs, mais ceux qui la récoltent sont un peu frustrés de ne pouvoir en sentir le parfum, masque oblige !

Propriétaire du Domaine de Manon, partenaire de la maison de luxe Dior, Carole Biancalana a imposé le masque à la demi-douzaine de saisonniers présents dans les champs. Elle ne manque pourtant pas d’adjectifs pour décrire l’arôme « complexe, multiple et varié » de la rose centifolia. « On est entre le miel, l’épice, l’agrume, le litchi, c’est un parfum en soi », dit-elle.

Après deux mois de confinement, la cueillette a commencé il y a huit jours, au gré de la météo, et se fait pour la première fois avec nombre de précautions sanitaires. « D’habitude, chacun prend un tablier indifférencié, on s’entraide et on cueille par rangée, l’un en face de l’autre, ça papote et c’est sympa », relève Mme Biancalana. Mais cette année, chaque cueilleur travaille seul sur sa rangée, avec son propre sac en toile de jute identifié par un ruban de couleur. Au camion, une seule personne est préposée pour livrer l’usine Robertet où les pétales atterrissent dans des cuves d’extraction.

Moins physique que le jasmin dont les récolteurs démarrent à l’aube et travaillent courbés, la cueillette de la rose centifolia débute vers 9 heures. Tout cesse impérativement avant 13 heures quand le soleil tape trop fort. C’est une question de température et de chimie : « La rose a des molécules odorantes qui fonctionnent à certaines heures », explique à l’AFP Vincent Rossi, 26 ans, l’un des plus jeunes ouvriers cueilleurs. Le seul outil de cueillette est la main : « Le but est de ne pas toucher le coeur de la rose. On l’attrape comme ça, juste sous le pédoncule et hop, on lui tord le cou ! ».

« Rapidité, dextérité et délicatesse : il faut cueillir sans casser les boutons des prochains jours », ajoute Mme Biancalana, héritière de trois hectares cultivés en famille. Elle loue aussi une parcelle sanctuarisée grâce à un plan révisé de la commune en faveur des plantes à parfum.

Grasse a été inscrite au patrimoine immatériel de l’Unesco en 2018 pour ses savoir-faire liés au parfum. Mais pour les horticulteurs, il est difficile d’acheter du terrain dans ce secteur de la Côte d’Azur, recherché et en manque de logements.

« C’est minimum 30 euros le m2. Avant de rentabiliser ça, avec tous les autres investissements, c’est compliqué », dit Carole Biancalana, membre fondatrice de l’association des Fleurs d’exception du pays de Grasse. Le partenariat avec la maison Dior (groupe LVMH) lui assure un revenu garanti en échange d’un cahier des charges.

Même difficultés pour les bigaradiers, ces orangers dont la cueillette vient de s’achever autour de la ville de Vallauris. La fleur entre dans la composition du néroli. « Cette année, on dépasse les cinq tonnes, contre quatre l’an dernier, » confie M. Guillaume Gillet, directeur de la coopérative du Nerolium, partenaire de la famille industrielle Mul et de la maison Chanel. Bien peu comparé au tonnage colossal d’il y a cent ans : Grasse récolte dix fois moins de rose et Vallauris 400 fois moins. Comme pour la rose, la préoccupation est de replanter pour récolter davantage.