D’abord perçu avec beaucoup de scepticisme par les acteurs du luxe, le numérique -trop souvent cantonné au commerce en ligne - a peiné à s’imposer dans cet univers où la satisfaction du client est d’abord une affaire de conseils et de services personnalisés. En pratique, et malgré de nombreux effets d’annonce, peu d’outils et d’applications ont réellement bouleversé l’expérience d’achat dans ce secteur.
« De nombreux outils expérimentaux ont été lancés, mais ils n’étaient souvent pas complètement au point et ne fonctionnaient pas correctement, » souligne Jean-Bernard Debreux, fondateur et président de The Illegal Factory, une société de production spécialisée dans le marketing digital qui compte parmi ses clients des marques comme Dior, Philips ou Toyota. Pourtant, ce spécialiste de la réalité augmentée est convaincu que les technologies disponibles sont maintenant mures. « Le tournant vient des capacités actuelles des smartphones que possèdent les clients et qui sont le support le plus pratique pour de nouvelles fonctionnalités. »
Le service avant la technologie
Mais encore faut-il avoir une vision claire du service que l’on souhaite apporter au client. « La technologie pour la technologie n’a aucun intérêt, » ajoute Jean-Bernard Debreux. De trop nombreuses solutions pensées dans un but de communication davantage ne fonctionnent pas à l’échelle du consommateur. Il y a souvent un fossé entre les promesses du digital et la réalité vécue par le consommateur. Dans le secteur du luxe ce type d’expérimentations hasardeuses n’est pas possible
Aujourd’hui, deux grandes tendances se dégagent : l’installation d’applications en boutiques pour le conseil et le suivi des clients et la dématérialisation de la phase d’essayage. « Dans tous les cas, l’outil digital doit vraiment être la source d’une expérience nouvelle, d’un avantage réel, pour le client comme pour la marque. » Une marque peut ainsi adresser des cartons d’invitation à ses clients VIP et permettre à ceux-ci, grâce aux technologies de réalité augmenter, de visualiser les produits sur leurs terminaux mobiles, smartphones ou tablettes, dans de véritables boutiques virtuelles offrant une vision 3D ultra réaliste des produits et notamment une perception correcte de leur taille réelle.
Univers de marque
Au-delà des applications directement commerciales, les technologies numériques peuvent aussi contribuer à la construction de l’univers de marque. Pour Ludovic Jokiel, co-fondateur de l’agence de design sonore MUTT, l’ambiance sonore des points de vente est un élément clef de l’expérience d’achat. « Aujourd’hui, les technologies disponibles permettent d’adapter l’ambiance sonore à ce qui se passe dans les boutiques, et même aux profils des clients présents à un instant donné, » explique-t-il.
Précautions juridiques
Toutefois, aussi ludiques soient elles, ces technologies impliquent souvent une collecte de données à caractère personnel, dont certaines revêtent un caractère sensible car elles portent sur des caractéristiques physiologiques telles que teinte de la peau, la nature des cheveux, etc. « Les entreprises commercialisant ou utilisant ce type d’outil, doivent veiller à respecter scrupuleusement les lois concernant la protection des données personnelles, » mettent en garde François Klein et Matthieu Bourgeois, avocats associés du cabinet KGA. En France, la « loi informatique et libertés » [1] impose notamment :
– une information claire et loyale de l’utilisateur sur les finalités du traitement des données, ainsi que sur les destinataires qui recevront celles-ci ; cette information peut être mentionnée dans des Conditions Générales d’Utilisation que le client sera invité à accepter avant d’utiliser l’application ;
– des formalités à accomplir auprès de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) ;
– des mesures de sécurité techniques et juridiques à prendre concernant le traitement et le stockage des données.
Des règles similaires sont applicables dans la plupart des pays européens. Si le rêve numérique est dores et déjà à la portée des marques, savoir garder les pieds sur terre devrait permettre de se prémunir des mauvaises surprises.
