Cécile Zarokian

Premium Beauty News - Un premier parfum alors que vous êtes encore en apprentissage chez Robertet, très vite suit la création de votre propre société, avec une vingtaine de fragrances signées en deux ans. Vous ne perdez pas de temps !

Cécile Zarokian - C’était le moment ou jamais de se lancer. Je ne voulais pas attendre trop longtemps et ensuite ne plus oser prendre ce risque. Et finalement les choses se sont très bien passées.

Dès la création de ma société je me suis engagée dans un projet artistique avec un illustrateur, Matthieu Appriou. Le projet a débouché sur une exposition à Paris en septembre 2011, qui faisait notamment partie du programme des « Rives de la Beauté ». L’idée était d’associer six parfums et six illustrations, et de permettre un dialogue entre les deux univers, chacun donnant naissance à l’autre. Alternativement, le coup de pinceau a suivi la narration olfactive ou c’était au nez d’être guidé par le trait. Cela m’a permis de pouvoir montrer ce que je pouvais faire en dehors d’une demande spécifique d’un client ou des contraintes commerciales. L’exposition sera reprise à Londres cet automne. [1]

En parallèle, j’ai remporté des projets et signé plusieurs fragrances. La création d’Epic Woman m’a notamment permis de rencontrer François Hénin, le président de Jovoy, qui distribue la marque dans sa boutique. Cette rencontre a abouti à la création de deux fragrances pour Jovoy Paris, l’eau de parfum Private Label et la bougie parfumée Ambre 1er. Les créations se sont ensuite succédées, avec deux parfums d’ambiance et deux bougies parfumées pour le maître cirier Perron Rigot : Carnet De Voyages et Soirée Câline. Il y a eu aussi l’eau de parfum Pink, une composition 100% naturelle pour la marque Undergreen, d’autres bougies, le parfum Mon Nom Est Rouge de Majda Bekkali, et dernièrement les trois parfums Vy Roza, Djélem et Albho pour la marque Suléko. Tout récemment, j’ai également créé les bougies pour le Château de Versailles.

Premium Beauty News - Ce sont majoritairement des clients issus du secteur de la parfumerie dite de niche.

Cécile Zarokian - Oui, et c’est plutôt un choix. Si je suis devenue parfumeur indépendant et si j’ai créé mon propre laboratoire, c’est afin de poursuivre mon activité en toute liberté. De ce point de vue, la façon de travailler avec des petites marques est très différente. Si elles ont souvent moins de budget, elles n’ont pas les mêmes contraintes et, quand elles font appel à un parfumeur indépendant, c’est qu’elles misent énormément sur la fragrance. Le travail de création devient à la fois beaucoup plus intéressant et se fait en étroite collaboration.

Premium Beauty News - La façon de travailler d’un parfumeur indépendant est très différente de celle d’une grande maison ?

Cécile Zarokian - Nous ne répondons pas exactement aux mêmes besoins et nous ne proposons pas tout à fait les mêmes services, nous ne sommes généralement pas sur les mêmes marchés. Les clients qui viennent me voir savent que j’aime beaucoup travailler sur des projets originaux, parfois en décalage avec l’esprit formaté de l’industrie de la parfumerie, à partir de visuels, d’émotions, de couleurs, de tissus, de sons, tout en collant à l’univers de la marque. Je n’ai pas systématiquement de directions olfactives, et je bénéficie d’une grande liberté de création. Et puis il y a aussi une relation directe avec le client pendant tout le développement.

Premium Beauty News - Comment percevez-vous l’évolution du marché de la parfumerie de niche, de cette parfumerie dite d’exception ou créative ?

Cécile Zarokian - Sur ce segment aussi les lancements se sont multipliés. D’une part, cela contribue à stimuler la demande et le marché s’élargit, mais d’autre part, on peut se demander si le marché n’est pas déjà saturé. Au final, la rentabilité n’est pas toujours facile à atteindre et beaucoup de marques ne vivent pas que de leur seule activité parfums.

Le côté positif, c’est que le sens olfactif prend toute sa valeur. Le pouvoir des senteurs a longtemps été sous-estimé, mais aujourd’hui beaucoup de marques semblent découvrir le pouvoir du marketing olfactif, son impact sur les ventes. On voit dans l’univers du prêt-à-porter, des marques comme Abercrombie & Fitch ou Zadig & Voltaire associer leurs boutiques à une véritable identité olfactive.

Sur ce marché qui devient également très concurrentiel, je crois qu’il faut prendre le temps de donner « une âme » au parfum, il faut qu’il soit suffisamment différenciant pour être repérable par les consommateurs, sans l’être trop pour ne pas écarter l’essentiel de la clientèle. L’originalité est importante, mais elle doit être bien dosée.

Premium Beauty News - Cette frénésie de lancements, tous segments confondus ne favorise-t-elle pas le développement du full service ?

Cécile Zarokian - C’est une tendance de fond du marché. De plus en plus de sociétés proposent des produits clefs en mains. Selon les demandes de leurs clients elles peuvent recourir à un catalogue de parfums ou bien solliciter un parfumeur. Dans certains cas, le client peut aussi manifester son souhait de travailler avec un parfumeur donné. Évidemment cela n’a d’intérêt que lorsque l’on désire s’engager dans une véritable démarche de création olfactive.

Premium Beauty News - Le renforcement des contraintes réglementaires joue également un rôle dans cette évolution ?

Cécile Zarokian - C’est certain. Une petite marque a besoin de s’entourer d’un nombre croissant d’experts. Dans de telles conditions, il est parfois plus efficace de déléguer une grande partie du processus à une entreprise ayant déjà la taille critique pour pouvoir supporter les coûts induits.

Mais du point de vue de la création olfactive, il ne faut pas exagérer le poids des contraintes réglementaires. J’appartiens à une génération qui a toujours travaillé dans ce cadre, cela n’empêche pas la créativité. Parfois, ce sont d’ailleurs davantage les cahiers des charges des marques qui posent de vraies difficultés que les obligations purement légales. Dans mes projets, je n’ai jamais eu de souci avec les normes IFRA. En revanche, lorsque j’ai développé Pink, une composition 100% naturelle pour la marque Undergreen, il a fallu faire un énorme travail de recherche sur les ingrédients, pour aboutir à une fragrance complexe et nuancée en dépit d’une palette restreinte. Et la plus grande réussite de ce projet c’est que cette contrainte ne transparaît pas dans le résultat final !

En fait, le problème se pose surtout pour les parfums déjà commercialisés. Si les évolutions réglementaires obligent à reformuler une grande partie de ce qui est sur le marché, les coûts seront astronomiques et peu supportables pour les petites structures, sans parler de la perte de notre patrimoine olfactif.