Préjudice important pour l’industrie

Alain Grangé-Cabane, FÉBÉA

La taxe sur les sociétés qui fabriquent ou importent des produits cosmétiques et qui les commercialisent en France a été adoptée à la fin de l’année dernière (entre Noël et le Jour de l’An), à la surprise générale, et après deux tentatives infructueuses en 2009 et en 2010. «  Une adoption à la hussarde,  » estime Alain Grangé-Cabane, pour qui, au-delà du coût financier pour les entreprises, il ne faut pas négliger le préjudice « moral », pour une industrie dont on sous-entend que ses produits nécessitent une surveillance particulièrement étroite. «  Habituellement, quand on taxe un secteur industriel spécifique, c’est parce qu’on le considère comme une source de nuisances ou comme un danger pour la santé, explique Alain Grangé Cabane, ce qui n’est évidemment pas le cas de notre industrie ou de ses produits. »

Selon les estimations du Gouvernement, la taxe votée l’année dernière, dont le taux est fixé à 0,1% du chiffre d’affaires des entreprises concernées, devrait rapporter entre 8 et 10 millions d’euros. Pas de quoi soulager réellement le budget de l’État, mais de quoi exaspérer un secteur industriel, qui compte de très nombreuses PME, au moment où il doit déjà gérer le coût de la transition vers une nouvelle réglementation.

« D’autant que la mise en œuvre de cette taxe est particulièrement lourde,  » poursuit Alain Gangé-Cabane. « Il y a deux déclarations à faire, l’une de nature fiscale, l’autre de nature sanitaire, auprès de l’AFSSAPS [1], pour laquelle les entreprises doivent ventiler leur chiffre d’affaires entre 86 catégories, et indiquer pour chacune le nombre de produits vendus à l’unité près. Cela n’a guère de sens et représente un travail considérable pour beaucoup de sociétés.  »

Une loi inconstitutionnelle ?

Mais c’est précisément cette seconde déclaration qui permet aujourd’hui à la FEBEA de contre-attaquer, en se saisissant de la possibilité nouvellement offerte aux justiciables français de contester la constitutionnalité des lois qui leur sont opposées. « Depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, il est en effet devenu possible de contester la conformité à la Constitution d’une loi déjà entrée en vigueur,  » explique Alain Grangé-Cabane, qui est aussi un ancien membre du Conseil d’État. Selon le nouvel article 61-1 de la Constitution, cela n’est toutefois possible « qu’à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction.  »

« En pratique, nous n’avions que deux solutions, souligne le Président de la FEBEA. Soit attendre qu’un litige oppose une entreprise cosmétique à l’administration au sujet de cette taxe et en profiter pour contester la loi, mais cela risquait de prendre plusieurs années. Soit, et c’est ce que nous avons fait, attaquer devant la juridiction administrative la décision du 22 mars 2012 du Directeur de l’AFSSAPS fixant le modèle de cette déclaration auprès de son organisme et attacher à ce recours une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC).  »

À l’appui de sa demande, la FEBEA avance deux arguments. D’abord, la loi instaurant la taxe sur l’industrie cosmétique entraine une rupture d’égalité devant les charges publiques. Les sommes récoltées seront en effet, selon la FEBEA, bien supérieures à celles dont l’AFSSAPS a réellement besoin pour conduire sa mission de supervision du marché des cosmétiques. En pratique donc, l’industrie cosmétique « surcôtise » par rapport aux autres industries, ce qui revient à lui imposer de financer des missions qui ne la concernent en rien.

Second argument, la loi porte également atteinte au principe de proportionnalité des peines. En effet, elle prévoit en cas de défaut de déclaration à l’agence une amende pouvant aller jusqu’à 45.000 euros. « Dans une industrie au sein de laquelle 20 à 25% des entreprises réalisent un chiffre d’affaires inférieur à un million d’euros, et pour lesquelles on peut estimer un bénéfice annuel moyen de 30.000 euros, c’est une amende totalement abusive,  » estime Alain Grangé-Cabane.

Réponse dans six mois au plus tard

Dans ce cas, c’est le Conseil d’État qui va juger de la recevabilité de la QPC soulevée le 29 mars par les industriels français des cosmétiques. La plus haute juridiction administrative dispose pour cela d’un délai maximum de trois mois avant de rejeter la demande ou de la transmettre au Conseil Constitutionnel pour examen sur le fond, lequel dispose à son tour d’un délai de trois mois pour rendre sa réponse, qui est définitive et sans appel.

Du côté de la FEBEA on affiche sa confiance, le sujet a été travaillé avec des avocats spécialisés et testé auprès de plusieurs juristes. Et, après tout, les trois précédentes saisines du Conseil d’État, engagées sous la présidence d’Alain Grangé-Cabane ont toutes été couronnées de succès. Alors, jamais trois sans quatre ? Réponse le 29 septembre 2012, au plus tard.