L’édition de janvier des Matinales de la Cosmétiques, l’événement mensuel organisé par SRC Consulting, a été l’occasion de s’interroger sur la capacité de la cosmétique bio à répondre aux attentes des consommateurs. Marie Alice Dibon (Alice Communications) et Sandie Jaidane (SJ Consulting) ont analysé le décalage entre les attentes des consommateurs en matière de produits cosmétiques naturels et biologiques et la réalité de l’offre. Selon elles, en dépit d’un contexte favorable qui se traduit par un indéniable dynamisme des ventes, les produits cosmétiques naturels ou biologiques ne sont pas encore parvenus à convaincre les consommateurs de leur capacité à répondre à l’ensemble de leurs attentes.

Un marché réduit

Force est de constater qu’en dépit de taux de progression annuels à deux chiffres dans un grand nombre de pays, le marché des produits de beauté biologiques et naturels demeure un marché de niche. En France, si les ventes ont progressé de 25% par an en moyenne entre 2005 et 2011, les cosmétiques naturels et biologiques ne représentaient en 2011 que 2% du marché total, selon Deloitte [1]. En Allemagne, où leur part de marché est la plus importante, cosmétiques naturels et biologiques dépassent les 6,5% du marché, pas plus.

Paradoxalement, cet étroit marché a vu le nombre de ses acteurs exploser, avec une multiplication des lancements. Selon le cabinet d’études spécialisé Organic Monitor, le marché français est celui qui a connu le plus grand nombre de lancements en Europe [2]. Les PME pionnières et engagées des débuts ont été rejointes par d’autres types d’acteurs proposant de nouvelles marques bio ou naturelles pour tous les segments du marché, des marques de distributeurs, ainsi que des marques conventionnelles élargissant leur offre avec des gammes bio.

Dans un contexte aussi concurrentiel, les prémisses d’un ralentissement du marché commencent forcément à faire des dégâts. C’est ainsi que le groupe Clarins a décidé de mettre un terme à l’aventure de la marque Kibio qu’il avait rachetée en 2010. En dépit d’investissements importants, la marque n’a jamais véritablement réussi à s’imposer. Début 2012, Jean-Paul Agon, le Pdg de L’Oréal, faisait déjà part de sa déception vis-à-vis de la progression du marché bio, en général, et des résultats de sa marque Sanoflore, en particulier. Cependant, à côté de ces marques emblématiques, nombreuses sont les petites marques à avoir disparu après deux ou trois années passées à se chercher une place dans un marché somme toute limité.

Attentes déçues

Pourtant, en dépit de la crise économique, toutes les études montrent la persistance et la progression des préoccupations environnementales et éthiques, ainsi que les fortes attentes en matière de santé et de bien-être parmi les consommateurs. La tendance reste donc porteuse, en Europe comme en Amérique du Nord, malgré des taux de croissance plus modérés que par le passé. Selon Deloitte, le marché français devrait toutefois continuer à croître à un rythme soutenu (autour de 10% par an), tout en étant marqué «  par l’exigence plus forte des consommateurs en termes de responsabilité sociale d’entreprise et de bénéfices produits.  »

En effet, même soucieux d’éthique et d’environnement, les consommateurs ne sont pas prêts à renoncer à leurs exigences de qualité et d’efficacité. Pour Marie Alice Dibon, la multiplication des logos et des certifications n’a pas été une réponse aux attentes des consommateurs. «  La réalité c’est qu’aujourd’hui, aucune des certifications existantes ne couvre l’ensemble de leurs préoccupations principales : des produits efficaces mais sains, des produits durables et moins polluants, des produits éthiques.  »

Autre problème : dans un univers où le rêve et le plaisir constituent un élément important de l’expérience d’achat et de la consommation des produits, le discours des marques biologiques et naturelles a longtemps été très réducteur. Leur principal argument de vente se limitant trop souvent à l’absence d’ingrédients supposés nocifs. C’est la fameuse « cosmétique sans » : sans parabènes, sans phtalates, sans aluminium…

Restructuration de l’offre

Dans un contexte concurrentiel qui continue de se durcir, notamment avec la montée en puissance des marques de distributeurs, les marques biologiques et naturelles doivent non seulement s’attacher à convaincre les consommateurs de la sincérité et de la cohérence de leur démarche, mais aussi les rassurer sur leur efficacité. Elles doivent aussi, notamment pour celles positionnées dans le haut de gamme, séduire les consommateurs avec un univers de marque attrayant et susceptible de véhiculer la « part de rêve » attendue.

Concrètement, les investissements requis tant en R&D qu’en marketing devraient fortement augmenter, et conduire à la sortie des acteurs les moins solides et à une restructuration de l’offre par le biais d’alliances et de rachats d’entreprises.

L’année 2013 sera par ailleurs marquée par d’importantes évolutions réglementaires, avec d’une part l’interdiction totale des tests sur les animaux en Europe, et d’autre part, l’entrée en vigueur d’une nouvelle législation européenne particulièrement exigeante en termes de sécurité. Le durcissement du cadre réglementaire, combiné aux initiatives parfois très ambitieuses en matière de développement durable d’acteurs traditionnels de la cosmétique tels qu’Unilever, risque à la fois d’accroître les barrières à l’entrée sur le marché tout en limitant les possibilité de différentiations des nouveaux acteurs. La mise au point par l’ISO d’une norme visant à harmoniser au niveau mondial les définitions des produits cosmétiques naturels et biologiques pourrait avoir des effets similaires.

Au final, pour Sandie Jaidane, « ce n’est pas le bio qui devient la norme, c’est la norme qui devient d’avantage bio et naturelle.  »