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Après avoir peiné à adopter les nouvelles technologies, au démarrage du e-commerce, dans les années 2000, le secteur de la beauté vit actuellement sa révolution digitale en adoptant de nouveaux outils permettant aux marques de proposer des produits et services davantage personnalisés, au plus près des désirs - réels ou supposés - de leurs clients. Néanmoins, ces nouveaux outils, qui impliquent une collecte massive de données personnelles, doivent respecter la réglementation et les bonnes pratiques pour continuer d’être bien acceptés - et donc utilisés - par les consommateurs.

1/ Beauté et digital : les nouvelles tendances

L’apparition de nouveaux outils a permis aux marques de rester connectées à leur public, depuis le point de vente jusqu’au téléphone mobile, offrant aux consommateurs la possibilité de tester et consommer de la beauté à tout moment et n’importe où.

1.1. La digitalisation des points de vente

Baptisé « My Sephora », l’outil déployé dans les magasins de l’enseigne Sephora, permet aux vendeuses munies d’une tablette numérique, d’accéder, en scannant la carte de fidélité, à l’intégralité de l’historique d’achats d’une cliente ainsi qu’à un moteur de recommandations suggérant automatiquement des produits en phase avec cet historique et avec son profil.

Autre outil de l’enseigne : l’application « Color Profile », qui permet à la vendeuse, toujours via une tablette numérique, de capturer la teinte de peau de la cliente, puis de lui suggérer des produits adaptés en termes de couvrance, de texture et de rendu visuel.

Dernière tendance : l’apparition prochaine de présentoirs connectés qui, équipés d’écrans HD et de capteurs radio/vidéo, perçoivent les principales caractéristiques des personnes passant à proximité (sexe, âge...), et adaptent, en fonction de ces paramètres, les images diffusées en rapport avec les produits les plus pertinents présents sur le présentoir. Dans un futur proche, il est possible d’imaginer que ces présentoirs connectés puissent percevoir des informations plus précises, comme la couleur de cheveux, le type de coiffure, ou encore la gamme de produits dernièrement achetée par la personne, afin de diffuser des images / animations davantage personnalisées.

L’enjeu, pour les marques de beauté : mieux connaître ses clients pour mieux desservir et anticiper leurs désirs. Dans un autre secteur, l’exemple de McDonald’s est particulièrement éclairant : l’enseigne américaine a parfaitement réussi son virage digital en équipant massivement ses restaurants de kiosques digitaux reliés à des applications mobiles permettant de commander des repas depuis un smartphone. L’entreprise dispose à présent d’une très bonne connaissance de ses clients, ce qui lui a permis d’innover et de suivre les tendances voulues par ces derniers.

1.2. Les applications mobiles de maquillage virtuel

La plus connue d’entre elles, l’application « Makeup Genius » de L’Oréal, permet au maquillage virtuel de suivre les mouvements du visage de l’utilisatrice, tel un véritable miroir, grâce au capteur de l’appareil photo de son smartphone.

Certaines applications récentes vont encore plus loin, comme « Beautiful Me » qui demande à l’utilisateur l’autorisation d’accéder à son compte Facebook, permettant à l’outil de collecter des données telles que le nom, le sexe et l’âge, mais également la couleur de peau, d’yeux, de lèvres et de cheveux. Cette application propose ensuite à l’utilisateur des conseils de beauté ainsi qu’un lien vers un e-shop lui facilitant l’acte d’achat.

1.3. La géolocalisation

Grâce à une technologie spécifique, la marque de produits de soin et cosmétiques « Kiehl’s » a lancé une campagne publicitaire permettant l’affichage de message sur les smartphones d’une population cible, sélectionnée via des critères CRM (âge, sexe …) et géographiques (localisation à proximité d’une boutique vendant des produits de la marque). Le résultat : 73% des utilisateurs touchés sont passés à l’acte d’achat après avoir reçu le message.

1.4. L’ubérisationde la beauté : l’exemple « Popmyday »

Conçue en 2014 à Paris et distinguée par l’incubateur de HEC, cette application mobile permet de commander en ligne des services de beauté personnalisés à domicile. Les professionnels qui se déplacent (coiffeurs, manucures, make-up artists...), dénommés « Pop Artists », sont soigneusement sélectionnés par l’exploitant du site.

2/ La nécessaire vigilance sur la protection des données personnelles

Toutes les technologies précitées impliquent une collecte de données personnelles, dont certaines revêtent un caractère sensible car elles portent sur des caractéristiques physiologiques et intimes (couleur de peau...), pouvant incidemment révéler l’origine raciale ou ethnique de la personne.

Ceci rend donc applicable la réglementation en matière de données à caractère personnel, qui impose notamment :

 Une information claire et loyale de l’utilisateur sur les caractéristiques du traitement de ces données (finalités, destinataire(s), existence et modalités d’exercice des droits d’accès, de rectification et de position…). Cette information peut être mentionnée dans des conditions générales d’utilisation (CGU) que le client sera invité à accepter avant d’utiliser l’application. Cette pratique est encore peu répandue dans la majorité des applications utilisées aujourd’hui.
 Des formalités à accomplir auprès de l’autorité nationale de protection des données personnelles (la « CNIL » pour la France) ;
 Des mesures de sécurité techniques et juridiques à prendre concernant les conditions dans lesquelles ces données sont traitées et stockées. Les industriels de la beauté devront veiller notamment à formaliser un accord avec leur fournisseur IT chargé de l’hébergement des données collectées via ces outils digitaux, pour répercuter auprès de ces derniers les obligations légales de sécurité.

3) Les principaux apports du futur règlement communautaire sur les données personnelles

Le futur règlement, actuellement en discussion auprès des autorités communautaires, apportera des nouveautés sensibles parmi lesquelles figurent les suivantes :

 les entreprises devront documenter, de façon très précise, leurs règles internes destinées à garantir le respect des droits des personnes dont les données sont traitées ;
 le délégué à la protection des données personnelles, qui remplacera l’actuel « correspondant informatique et libertés » (CIL), deviendra obligatoire dans de nombreux cas et sera assimilable à un « commissaire aux comptes » pour les données ; véritable ambassadeur de la conformité « vie privée/digital », son rôle sera clé ;
 les sanctions prévues en cas de manquement seront renforcées et dissuasives et pourront atteindre jusqu’à 2% du chiffre d’affaire mondial consolidé.

À l’instar des applications de « santé connectée » (bracelet connecté permettant de calculer la dépense nutritionnelle ou la quantité de sommeil…), la CNIL pourrait bientôt s’intéresser de près à la « beauté connectée ». Il est important que les industriels de ce secteur y soient préparés en s’assurant de leur conformité à la réglementation. Au-delà des sanctions prévues par les textes, c’est leur image et le lien de confiance les unissant à leurs clients qui sont en jeu.