Armand de Villoutreys, Président de la Division Parfumerie, Firmenich

Premium Beauty News - Depuis quelques années on observe un véritable phénomène autour d’une parfumerie exigeante, qui attire des amateurs, lassés des grands lancements très marketés, à la recherche d’exception et de rareté. Quelle est l’incidence de ce phénomène sur le marché ?

Armand de Villoutreys - On observe indéniablement un besoin de parfums plus intimistes et plus personnalisés. Les parfums dits « de niche » connaissent un taux de croissance important, mais on part de très bas. Pour le moment, en termes de volumes et de parts de marché, la parfumerie de niche reste - on pourrait dire « par définition » - marginale. Notamment, parce qu’elle se heurte toujours à un problème de distribution.

Par ailleurs, les frontières de cette parfumerie sont aujourd’hui d’autant plus difficiles à définir que les marques de niche se sont vues opposer une stratégie élitiste de la part des marques traditionnelles. Ces dernières ont lancé des lignes intimistes reprenant les codes des petites marques : flacons standards, mise en avant des principaux ingrédients et accords, distribution restreinte.

Aujourd’hui, ce marché est très encombré. Pour réussir il faut redoubler de différenciation, avoir un concept particulièrement solide. Une marque comme Le Labo, a ainsi réussi à changer le rapport aux parfums en faisant sentir leurs ingrédients aux consommateurs. L’idée de Frédéric Malle, de créer une maison d’éditions de parfums mettant en avant des auteurs est, elle, aussi tout à fait remarquable. On peut encore mentionner les superpositions de Jo Malone, ou bien l’hyper luxe de By Kilian sans oublier le précurseur Diptyque qui a déjà fêté ses 50 ans d’existence.

Mais ces marques de niche ont aussi permis de montrer qu’une parfumerie ancrée dans ses ingrédients parle beaucoup aux consommateurs. Plus figuratives que conceptuelles, ces marques valorisent les matières premières, concentrent la créativité dans le jus, plutôt que dans le flacon ou la publicité. Elles ont permis de redonner de la qualité au jus, dans lequel elles investissent beaucoup, ce dont nous nous réjouissons bien évidemment. Je crois en effet qu’il y a vraiment eu trop d’économies réalisées à ce niveau. Pendant de nombreuses années, nous avons fait face à des briefs fixant des prix tendus pour les jus, alors même que cela coïncidait avec une forte hausse du prix des matières premières.

Premium Beauty News - Plus généralement, n’observe-t-on pas aussi à un ralentissement du rythme des grands lancements ?

Armand de Villoutreys - Oui le rythme a légèrement ralenti et personnellement je considère que c’est une bonne chose. On était arrivés à une frénésie terrible qui créait une forte tension sur les budgets des marques. Le succès de ceux qui ont ralenti le rythme, en appliquant le principe « fewer but bigger », a montré qu’une autre voie était possible.

Maintenant, il faut aussi relativiser cette observation, car il y a toujours autant de flankers. Et puis, si le ralentissement est réel pour le luxe, c’est moins le cas pour le masstige et le mass. Or, la part de marché de la parfumerie de prestige n’a cessé de décroître au niveau mondial, du fait de la progression des pays émergents, notamment du Brésil, qui sont plutôt mass ou masstige.

Premium Beauty News - Précisément, comment évolue le marché mondial ?

Armand de Villoutreys - Le marché mondial a d’abord été transformé par l’explosion du gigantesque marché brésilien. Après avoir pris la première place en volume, il y a quelques années, le marché brésilien de la parfumerie vient de ravir aux États-Unis la première place en valeur.

Il faut aussi noter le dynamisme du Moyen-Orient qui, au total, représente environ 300 millions de consommateurs qui sont des acheteurs très intensifs. Sans compter que ce marché a aussi une grande influence sur l’ensemble du monde musulman, sur des pays comme l’Indonésie ou la Malaisie, par exemple.

En revanche, l’Asie - à savoir principalement la Chine, le Japon, la Corée - ne décolle pas significativement.

En termes d’organisation, nous avons donc ouvert des centres de création dédiés à la parfumerie fine à Sao Paulo et à Dubaï. Nous disposons donc aujourd’hui de quatre unités de ce type : Paris, New York Sao Paulo, Dubaï. Nous formulons sur place, au contact des populations locales.

Enfin, il faut noter que si nos marchés se sont fortement globalisés, c’est aussi le cas de nos approvisionnements. Aujourd’hui nos ingrédients proviennent du monde entier, avec un poids croissant du centre de l’Inde. Nous disposons à ce jour de onze usines, dont neuf sont situées dans les marchés émergents.