La beauté à l’épreuve du temps

En beauté, le temps devient le nouveau complice de la performance : c’est le temps qui optimise la qualité des ingrédients. La nouvelle gamme Art du Soin de Diptyque repose sur le concept de la « cosmétique infusée » obtenue grâce à des extractions lentes. L’Huile Infusée Diptyque permet la contemplation de fleurs séchées qui, avec le temps, continuent à infuser. C’est également le retour au bon sens qui privilégie la qualité à la quantité et qui épure les listings pour ne garder que le meilleur. Chanel, avec La Solution 10 propose uniquement dix ingrédients, chacun participant à l’équilibre parfait pour un soin sobre et performant.

C’est aussi le temps qui se respecte, un passé qu’on anoblit en le valorisant comme le fait la nouvelle boutique Aesop à Chicago où les briques chargés d’histoire ont été conservées et valorisées sur un mur glorifiant la mémoire du lieu.

C’est enfin le temps participatif, avec ces cosmétiques prêts à être mélangés pour maintenir leur fraîcheur et devenir le nouveau rituel de la personnalisation.

Les nouvelles technologies coexistent avec cette nouvelle vision du luxe libérant le temps. Les technologies permettent le temps « choisi », libèrent du temps pour soi, pour poser un masque ou pour dénicher les nouveautés. L’application française Selectionnist permet, en flashant un article ou un produit de beauté sur un magazine, d’accéder directement au site web et de l’acheter, sans quitter son canapé.

La beauté à l’âge de l’accès

Les scandales alimentaires à répétition et la montée des anxiétés liées aux ingrédients (leur provenance, leur toxicité) ont renforcé le besoin d’une meilleure maitrise de la chaine d’approvisionnement. Elle a amplifié le manque de confiance envers les grandes entreprises. On veut se libérer d’un modèle économique et consommer autrement en reprenant le contrôle de sa consommation.

Lorsqu’on demande aux Français ce qu’ils souhaitent comme information sur les produits qu’ils consomment, un sur deux veut connaître son origine et son lieu de fabrication. D’ailleurs, les chefs mènent également une révolution du palais et s’adaptent aux saisons, à l’environnement et lui rendent hommage avec des ingrédients 100% locaux. C’est le cas, par exemple, du restaurant Vila Lena en Toscane qui tient son propre potager. En beauté, on on observe parmi les marques alternatives un mimétisme du mouvement du « farm to table » avec le « farm to bottle ». Un des fleurons en est Tata Harper, une des marques positionnées sur le concept du « farm to table ». La marque possède 600 hectares dans le Vermont. Selon Forbes, sa croissance est de +600% en 2014, et son succès repose sur des sérums vendus entre 90 et 350 euros. La marque française Douces Angevines ou les marques américaines Farmacy, Wildcare et Youth to the People, pronent les même principes.

L’âge de l’accès remet en cause le modèle de la tour d’ivoire et du secret qui a longtemps été la règle dans l’industrie de la beauté. Alors que l’artisanat devient un nouveau modèle de développement qui suscite le désir, la mise en avant des talents et la maitrise du geste enrichissent la relation à la marque. Les nouveaux espaces célèbrent les valeurs de travail, de savoir-faire, ou de transparence. Un parfait exemple est la nouvelle boutique Joya à Brooklyn, une boutique atelier où travaillent les artisans. Ces exemples sont des invitations à la réflexion pour les marques de luxe puisque le mystère et le secret qui faisaient traditionnellement partie des valeurs du luxe, sont désormais ébranlés par l’exigence de transparence.

La beauté et l’aspiration à “être soi-même”

Le désir de distinction, de différenciation, est aussi le miroir d’une société plus libre et plus métissée. Les tabous des carnations, des âges, des genres explosent pour révéler des archétypes pluriels qui célèbrent la différence. Aux USA, d’après une étude de J Walter Thompson, 67% des plus de 18 ans pensent qu’il est « cool » de voir des transgenres dans des campagnes. Signe d’une marque progressiste et déclencheur d’empathie. En beauté, les marques alternatives prônent l’unisexe ou le « gender fluidity » (ex : Made in Youthland, Milk Makeup ou Make avec sa collection Naxos).

Liberté d’être soi, comme individu mais aussi ensemble, au sein d’une communauté de valeur. Les nouveaux retailers américains maintenant proposent plus qu’un lieu de vente de produits cosmétiques, mais des lieux communautaires autour d’une même passion ou de mêmes recherches. Credo (San Francisco et New York) est une boutique qui prône le « credo » du naturel, de l’éthique et du durable. La recherche de plus d’humanité dans la consommation, devient le nouveau signe de ralliement communautaire. Comme si la confiance passait par la nécessité de se réunir autour de projets et de valeurs communes.

La beauté et l’inattendu

Pop-up stores beauté, beauty trucks, le plaisir de retrouver une marque au-delà des codes standards et prévisibles d’un grand magasin ou de vivre une expérience nouvelle en magasin - par exemple celle du pop-up store de la marque Make à Soho en mai 2016.

L’inattendu aussi dans des alliances inédites entre deux lieux aux services différents mais aux valeurs communes. Comme cette alliance entre la boutique Detox Market, concept store dédié à la beauté « healthy » et le Café Gratitude en Californie, restaurant végétarien.

Le luxe c’est la liberté de voir le monde comme un souffle de renouveau et de vivre la consommation autrement. Il faut désormais surprendre pour mieux séduire, créer l’événement pour mieux émerger et créer de l’émotion à partager sur les réseaux sociaux.

Conclusion

Le luxe change en permanence. Le vinyle qu’on croyait disparu à jamais est devenu l’icône des jeunes générations. Alors que la musique se dématérialise à grande vitesse, les 33 tours deviennent des objets luxueux et iconiques. « Dans nos sociétés en mouvement, les retards donnent quelque fois de l’avance,  » écrivait Sartre dans Les Mots.

Et demain ? Certains biens ou expériences auxquels on n’aurait jamais pensé pourraient devenir des « objets » de luxe. C’est le cas de la conversation qui, si l’on en croit la sociologue Sherry Turkle, est en train de disparaître au profit d’interactions froides et technologiques. Avec l’arrivée des chatbots (les robots conversationnels), certains pensent qu’une conversation authentique avec un humain deviendra demain un service payant. Il est vrai que les promoteurs des chatbots, chez Microsoft ou chez Facebook, n’hésitent pas à proclamer qu’il sera bientôt difficile de faire la différence entre un robot et un être humain….

En beauté, le changement est également au cœur de l’industrie de demain. On note l’arrivée de « beauty hackers », une nouvelle génération de marques qui surfent sur ces envies de liberté et qui s’approprient donc ces nouvelles dimensions du luxe ou de création de valeur. Elles sont fraîches dans leurs idées, agiles dans leurs fonctionnements et libres dans leurs expressions.

Nos représentations du luxe évoluent comme nos représentations de la société. Aujourd’hui, la liberté devenant le bien le plus rare, une des missions du luxe consiste à proposer à ses clients l’émancipation totale.