Bérangère Fromy, CNRS

Premium Beauty News - Vous avez un parcours atypique. Vous êtes mathématicienne de formation et actuellement directrice de recherche CNRS au sein du Laboratoire de biologie tissulaire et ingénierie thérapeutique (LBTI) de Lyon et spécialiste de la peau. Comment passe-t-on des mathématiques à la biologie ?

Bérengère Fromy - C’est au cours de ma thèse à l’Université de Glamorgan au Pays de Galles qu’une ouverture vers la biologie s’est faite. En effet, j’ai travaillé sur la modélisation mathématique des effets vasculaires des bas de contention dans le but d’optimiser le choix des tailles. Le modèle a permis de mettre en avant, ce que les Égyptiens appliquaient déjà, le fait que le bandage améliore le retour veineux. Nous étions dans le cadre de la macro-circulation mais le modèle a également montré que des faibles pressions pourraient améliorer la microcirculation, processus inconnu en biologie. J’ai alors poursuivi mes recherches par un post-doctorat à Angers au sein du laboratoire du Professeur Jean-Louis Saumet pour vérifier l’existence de ce processus micro-vasculaire et approfondir les mécanismes physiologiques impliqués dans cette relation entre la microcirculation cutanée et les contraintes mécaniques. Pour cela j’avais développé un petit balancier qui couplé avec un laser Doppler permettait de mesurer le flux sanguin sur la peau soumise à de faibles pressions. Une légère pression favorise la microcirculation sanguine d’une peau saine en provoquant la dilatation des vaisseaux.

La thématique que je développe au sein du CNRS depuis 2002 repose sur ces travaux et ce couplage « mécano-sensibilité et vasodilatation cutanée ». Nous cherchons à comprendre les mécanismes de défense de la peau pour lutter efficacement contre les contraintes mécaniques.

Premium Beauty News - En 2012, vous avez été récompensée par la médaille de bronze du CNRS notamment pour des travaux publiés dans la prestigieuse revue Nature Medicine, quelle était la portée de ces travaux ?

Bérengère Fromy - Nous avons mis en évidence une voie de signalisation de la vasodilatation cutanée en réponse à l’application locale d’une faible pression nommée PIV pour pressure-induced vasodilation pour des peaux saines qui ont la particularité de s’ajuster spontanément aux contraintes mécaniques.

Sur une peau pathologique, cette vasodilatation est diminuée ou absente. Nous avons démontré le rôle du canal mécano-sensible ASIC3 dans ce processus physiologique. ASIC3 s’active sous l’effet de l’application d’une pression locale et déclenche l’entrée en jeu des terminaisons nerveuses sensorielles qui engendrent la libération de neuropeptides vasodilatateurs tels CGRP, VIP, PACAP. Ces neuropeptides se fixent sur les cellules endothéliales qui libèrent à leur tour des prostaglandines et du monoxyde d’azote permettant de relaxer le muscle.

Ce processus naturel dans une peau saine est moins efficace sur une peau pathologique présentant des disfonctionnements au niveau des cellules endothéliales, comme lors du vieillissement ou du diabète. Ce désordre contribue à fragiliser la peau face aux pressions, ce qui peut aller jusqu’à la formation d’escarres. En présence d’une neuropathie sensorielle périphérique, la personne n’a pas l’information nerveuse pour détecter la pression appliquée, ce qui aggrave ses capacités de défense face aux escarres.

Premium Beauty News - Aujourd’hui, quelles sont vos perspectives ?

Bérengère Fromy - Il y a plusieurs champs d’applications de ces travaux avec, en premier lieu, le domaine médical et la lutte contre les escarres. Nous travaillons sur des traitements antioxydants qui pourraient améliorer et restaurer le processus de la PIV. Le domaine cosmétique s’intéresse aussi à nos travaux et à notre capacité à évaluer la qualité fonctionnelle de la peau. Par ailleurs, nous continuons nos investigations en étudiant l’influence des propriétés viscoélastiques cutanées sur les capacités d’ajustement micro-vasculaires face aux contraintes mécaniques. Les modifications de ces propriétés rhéologiques au cours du vieillissement et lors de pathologies comme le diabète ouvrent des perspectives très porteuses.