Leila Rochet-Podvin

La métropole new-yorkaise continue de faire les tendances en matière de mode et de beauté en Amérique du Nord. Malgré la créativité de la Californie, où plusieurs des marques cosmétiques les plus innovantes ont vu le jour au cours des dernières années, la pérennisation du succès et la reconnaissance passent par la côte est.

Sur ce sujet, Leila Rochet-Podvin, fondatrice du cabinet de veille marketing Cosmetics Inspiration&Creation, n’a pas le moindre doute. Pour elle, «  la côte est, et New York en particulier, demeure la caisse de résonnance et l’amplificateur de toutes les tendances qui travaillent la société américaine. » Deux fois par an, elle effectue donc un voyage d’études dans les boutiques de la mégapole, de Brooklyn au New Jersey, pour dénicher les produits les plus significatifs, les marques les plus surprenantes, avec pour objectif de comprendre les tendances à l’œuvre sur le marché, d’explorer les changements de comportement et de décrypter les innovations. Elle proposait le 2 septembre dernier, un petit aperçu des résultats de sa dernière étude.

Nouveau départ

Après le choc de la crise de 2008-2009, qui a frappé les États-Unis bien plus violemment que l’Europe, le marché s’est nettement redressé en 2010 et la croissance est restée forte tout au long du premier semestre 2011, avec notamment un grand retour de la couleur, en particulier les vernis et les rouge à lèvres, et une progression du circuit sélectif plus forte que celle du mass. Néanmoins, la crise a laissé des traces, bousculé les repères et les habitudes. « Pendant la crise, le consommateur est devenu frugal, animé par une sorte de dé-consommation et priorisant ses achats vers les produits à plus grande valeur perçue, qu’elle soit émotionnelle ou rationnelle. En même temps, l’émergence des outils web a facilité l’accès des consommateurs aux informations, » explique Leila Rochet-Podvin.

Le retour à la croissance s’est donc effectué dans un contexte de marché très différent de celui qui précédait la crise. D’une part, les consommateurs ont changé et, d’autre part, les marques comme les distributeurs se sont réorganisés. Côté distribution, l’élément marquant est certainement le brouillage de plus en plus évident de la frontière entre les circuits de distribution.

Une chaîne comme Ulta, qui propose à la fois des marques de mass market et de prestige dans un concept open serve, est sortie renforcée de la crise. Ulta compte actuellement 400 points de vente et vise les 1000 à brève échéance. Du côté des drugstores, si la montée en gamme a été ralentie par la crise, la logique d’ouverture des boutiques ou des espaces spécialisés beauté (Beauty 360 pour CVS, ou Look Beauty pour Duane Reade) se poursuit. Même Walmart, leader mondial de la grande distribution, s’efforce d’attirer les acheteuses beauté en rénovant ses points de vente (200 à 800 par an) et en proposant des exclusivités innovantes telles que Hard Candy et GeoGirl.

Marques de niche

Les department stores ne sont pas restés immobiles. Macy’s comme Bloomingdales ont créé de nouveaux espaces dédiés à la beauté en proposant davantage d’espaces ouverts en libre services, et en invitant en exclusivité de nombreuses marques de niche. Dans le nouvel aménagement de 2360 m2 d’expérience beauté dans son flagship store de la 59e rue, Bloomingdales propose ainsi une cinquantaine de marques de niche, en partenariat avec la chaîne britannique Space NK.

Les concept stores qui s’ouvrent dans les quartiers branchés (City Chemist, Shen Beauty ou skinnyskinny à Brooklyn) et, plus généralement, les boutiques spécialisées de proximité (local neighbourhood boutiques) qui sélectionnent des produits spécifiques pour leur clientèle, contribuent également à la montée des marques de niche. Même chose pour les corners beauté qui s’invitent de plus en plus fréquemment dans les points de vente déco, tels que ABC Carpet & Home.

Cette montée des marques de niches est probablement sous évaluée par les outils statistiques existants, notamment parce qu’ils ne prennent pas en compte les ventes réalisées dans les boutiques qui n’appartiennent pas à de grandes chaînes. Mais elle n’a pas échappée aux professionnels, pour preuve, la toute récente création, par la Fragrance Foundation américaine, d’un Indie Committee, un comité dédié aux marques de parfums indépendantes.

Nouveaux horizons

Pour Leila Rochet-Podvin deux grandes tendances de fond de la société américaine sont en train de transformer le marché de la beauté. D’une part la montée du multi-ethnisme et d’autre part, l’évolution de l’image de soi au sein des jeunes générations.

« Dans la mesure où les femmes que l’on considère actuellement comme appartenant à des minorités ethniques constitueront, d’ici une trentaine d’années, la majorité de la population, il n’y a rien d’étonnant à ce que cela se traduise dores et déjà par une évolution du modèle type de la beauté américaine, » explique-t-elle. En résumé, l’idéal de la blonde américaine aux yeux bleus est passé de mode. Une étude du magazine Allure, révélait récemment que pour 64% des américains la femme métissée est le nouveau modèle de beauté. Selon cette même étude, parmi les actrices, c’est Angelina Joly qui est plébiscitée comme idéal de beauté.

La diversité ethnique est de plus en plus valorisée et on l’observe dans un nombre croissant de publicités. Aujourd’hui, une marque comme Estée Lauder revendique pour son nouvel Idealist Even Skintone Illuminator, une « efficacité prouvée sur toutes les ethnies » (“proven effective on all ethnicities”).

« Quant aux jeunes générations, indique Leila Rochet-Podvin, l’évolution de leurs pratiques est tellement fulgurante, que l’on dit qu’elles ont tendance à devenir plus âgées plus jeunes. » Cette génération hyper-connectée a acquis une ultra sensibilité à l’importance de la valorisation de l’image de soi et de plus en plus de marques s’intéressent à elle.

ReaLevation

Dans son tout dernier dossier Inspiration from New-York, l’agence Cosmetics Inspiration&Creation propose sur la base de ses observations, une analyse détaillée de sept thématiques autour des nouveaux univers de féminité, de couleurs, de textures et d’ingrédients, identifiés au cours des douze derniers mois.

« Le fil conducteur de ce dossier, c’est une nouvelle ‘ELEVATION’ dans la beauté et la féminité, les exigences des consommatrices et l’offre des marques ce sont encore élevées, et se combinent avec une ‘RE-invention’ des aspirations d’un consommateur qui recherche plus d’audace, pourvu qu’elle soit au service de la performance. C’est ce que nous avons synthétisé dans le mot ‘ReaLevation,’ c’est à dire la demande de plus d’ambition, de plus d’audace et de rêve, mais aussi de réel et d’humain. Couleur, lumière, féminité, expérience, métissage et vitalité sont les mots clés de ce dossier, » précise Leila Rochet-Podvin.