Nathalie Cetto, parfumeur chez Givaudan

Nathalie Cetto, parfumeur chez Givaudan

Premium Beauty News - Le projet My Bloom est né sous l’impulsion d’Arnaud Guggenbuhl, Global Head of Marketing Fine Fragrances chez Givaudan, pour explorer d’autres horizons créatifs et olfactifs.

Nathalie Cetto - Oui. À l’origine, une étude révélant que 44% des femmes en France et 50% aux États-Unis ne se reconnaissent pas dans l’image de séduction que véhiculent les parfums actuellement positionnés sur ce segment. Ni, à l’opposé de la carte olfactive, dans les eaux fraîches et autres fragrances aseptisées. L’offre actuelle est trop dichotomique, là où ces femmes rêvent d’une fragrance qui parle d’elles, qui signe leur personnalité. Comme une extension de l’intime. Loin des sillages qui transforment, il y a ceux qui révèlent une part de soi. Arnaud Guggenbuhl, notre directeur du Marketing Fine Fragrances, a donc fait travailler les équipes de New York et de Paris sur l’idée d’un parfum rassurant, qui dévoile un peu de nous.

Premium Beauty News - Concrètement, comment l’expérience s’est-elle déroulée ? Disposiez-vous d’un brief ou de contraintes spécifiques ?

Nathalie Cetto - Pas du tout, nous avons joui d’une liberté totale ! Une expérience nouvelle à part entière pour nous qui, d’habitude, travaillons en équipe avec un évaluateur, un commercial… Un exercice intéressant, car nous étions seuls pour formuler et mettre le point final. Une démarche “personnelle” mais qui a pourtant été source d’échange et de partage au sein des équipes, lors de l’évaluation et des présentations… Nous avions carte blanche d’un point de vue olfactif, toutefois cela n’exclut pas quelques contraintes techniques. Arnaud Guggenbuhl a insisté sur l’idée de fluidité et de diffusion atmosphérique, nous avons donc mis l’accent sur le coeur et le fond, privilégiant les notes florales, boisées, musquées…

Premium Beauty News - Pourquoi cette exigence ?

Nathalie Cetto - Parce que nous avons travaillé à l’opposé d’un parfum “coup de poing”, conçu pour séduire dès les notes de tête. Au contraire, c’est l’idée d’un parfum qui se dévoile plus doucement pour vous envelopper toute la journée, qui nous a guidé. Une présence, une certaine puissance, qui s’exprime avec transparence. Dès lors, la manière de formuler n’est pas la même. On travaillera particulièrement la tête d’un futur “best-seller”, tandis qu’ici l’attention s’est plutôt portée sur le coeur et le fond. Une écriture qui reflète aussi, dans un sens, l’évolution de notre société. L’avènement des circuits de distribution en libre-service, il y a vingt ans, a influencé la formulation, à travers des parfums attractifs dès les notes de tête, surtout dans un contexte saturé d’odeurs puissantes. On le sait, ces circuits sélectifs sont aujourd’hui en perte de vitesse. Le public privilégie une approche plus intimiste, à travers la découverte en ligne ou dans des boutiques de niche. Cette remise en question du système implique d’autres manières de structurer une fragrance.

Premium Beauty News - Qu’est-il ressorti du travail des parfumeurs ?

Nathalie Cetto - Nous étions une trentaine à participer au projet, avec 80 propositions au total. Lors de l’évaluation, cinq grandes thématiques se sont naturellement dégagées : la renaissance (ou résilience), l’acceptation de soi (“self-love”), la lumière, la peau et la transcendance (ou la désincarnation en quelque sorte). Au final, une quinzaine de créations ont été retenues et classées par thème.

Premium Beauty News - Dont notamment “Romy”, l’une de vos créations.

Nathalie Cetto - C’est bien sûr un clin d’oeil à l’actrice Romy Schneider, mais aussi une manière de parler de moi, puisque j’assume mon goût pour la cigarette. Or je trouve que certains parfums se marient mieux que d’autres à l’odeur de la cigarette, sur la peau, les cheveux, les vêtements et j’avais envie de travailler cette idée. J’avais récemment revu des images sublimes de Romy Schneider fumant lascivement une cigarette durant le tournage, jamais abouti, de L’Enfer de Clouzot. Cela m’a inspiré un parfum sombre, chypré, épicé, fumé, musqué… Un parfum très Femme, qui s’inspire d’une actrice autant qu’il révèle la fumeuse qui est en moi. Cette fragrance a été présentée dans la thématique “Self-Love”.

Premium Beauty News - Je me souviens aussi de La Disparition, un parfum intriguant...

Nathalie Cetto - Oui, une fragrance de Marion Costéro qui s’inspire du roman éponyme de George Pérec. Elle a joué de matières premières qui ne lui sont pas familières et qui, à l’image du livre, ne possèdent pas de “E”. Ingrédients qu’elle a ensuite intégrés au Carto, notre logiciel d’intelligence artificielle. Le tout exhale en effet une sensation d’absence très particulière qui n’a échappé à personne, autour de notes sombres, boisées, fumées, exprimant parfaitement cette idée de désincarnation, notre cinquième axe.

Premium Beauty News - Quelles portes ouvre cette expérience sur la création, à l’avenir ?

Nathalie Cetto - Cela implique d’une part d’autres manières de composer et structurer un parfum, mais cela amorce aussi un déclin de la tendance gourmande, au profit de notes plus subtiles, comme les muscs par exemple. Le succès de For Her Pure Musk de Narciso Rodriguez ou d’Idole de Lancôme en témoigne, d’ailleurs. Des parfums qui fidélisent plus, auxquels on revient, moins propices au “zapping”.

Premium Beauty News - Comment s’est conclue l’expérience ?

Nathalie Cetto - Par un “tinder olfactif” : un t-shirt dating. Nous avons opposé sept de nos créations à deux benchmarks du marché féminin en sondant l’avis des hommes d’après un t-shirt porté par des femmes. Quatre de nos créations l’ont emporté contre deux benchmark et trois contre un benchmark. Ce qui est très engageant. Selon eux, les parfums du programme My Bloom dégageaient plus de mystère, mais aussi une personnalité plus souriante et sincère. Cette manière d’aborder la création se rapproche d’ailleurs de celle de la parfumerie de niche.

C’est pourquoi, l’offre grand public sera amenée à évoluer dans les années à venir. My Bloom répond parfaitement à la tendance du parfum-soin, dans un contexte où l’aromathérapie séduit de plus en plus et où de nouvelles gestuelles émergent. Une quête de fluidité et d’intimité qui devrait, enfin, être attractive pour le marché asiatique.