Fondée en 2019 par Aurélien Guichard et deux associés — Caïus Von Knorring, ancien directeur marketing de Valentino chez Puig, et Cédric Meiffret, ancien chef de groupe développement chez Dior, puis IFF et Givaudan — Matière Première s’est depuis taillé une place de choix dans le monde de la parfumerie de niche, avec près d’une dizaine de lancements en trois ans. Un succès qui repose sur des formules concises et lisibles sublimant un ingrédient phare, portées par un sillage tenace et enveloppant.

Champs de roses et de tubéreuses

Maître parfumeur chez Takasago, Aurélien Guichard est un authentique Grassois qui baigne depuis l’enfance dans l’univers des matières premières. Son père, le parfumeur Jean Guichard, possédait des terres à Grasse, où ses grands-parents cultivaient des fleurs. Un savoir-faire familial qu’il a souhaité préserver en acquérant ses propres champs, qui jouxtent aujourd’hui sa propriété. Devenu agriculteur en 2016, il récolte ses premières roses trois ans plus tard. Après les roses de mai, Aurélien Guichard a choisi de planter des tubéreuses, dont il possède aujourd’hui un hectare.

Ce sont ces plantations, d’abord vouées à cultiver un artisanat propre à la région grassoise, qui ont donné envie au parfumeur et ses deux compères de créer Matière Première. Une première pour une marque de niche, la culture de la rose à Grasse étant principalement destinée à Chanel et aux marques du groupe LVMH (Louis Vuitton, Dior, Guerlain).

Les productions de ses champs de roses et de tubéreuses nourrissent ainsi les deux fragrances emblématiques de la marque : Radical Rose et French Flower.

Un parfum de terroir

Véritable atout pour la marque, ces champs lui confèrent une authenticité sans rivale dans l’univers de la parfumerie de niche, tant les fleurs d’exceptions du pays de Grasse ont une personnalité unique.

La parfumerie privilégie en effet la tubéreuse d’Inde, dont la production est bien plus importante et dont le coût, pour un kilo d’absolu, est d’environ 11.000 euros. Bien moins que sa cousine grassoise, puisque l’absolu de tubéreuse bio - moins fruité et indolé - issu des champs d’Aurélien Guichard coûte environ 250 000 euros le kilo.

Une fois les fleurs récoltées, c’est la maison de composition Robertet qui se charge de l’extraction aux solvants volatils, pour créer l’absolu, et de l’enfleurage à l’aide de cires végétales, pour créer la « pommade d’absolu ». Il faut environ 3 tonnes de fleurs pour un kilo d’absolu et 30 à 50 kilos de fleurs pour un kilo d’enfleurage.

La tubéreuse est une fleur au parfum complexe, dont la récolte s’étale du mois d’août à novembre. De jour, elle se révèle suave, solaire et veloutée, facette que l’enfleurage met en lumière. Le soir, son parfum se fait plus opulent, exhalant des nuances méthylées, camphrées, aux accents presque cuirés, dont le rendu en absolu est assez fidèle. French Flower joue des deux facettes de la fleur puisqu’il se compose d’absolu et de pommade d’absolu, pour restituer pleinement l’odeur d’un champ de tubéreuses.

Un marché en quête de racines

En exploitant ses propres champs de fleurs, la marque gagne en flexibilité puisqu’elle peut adapter sa production suivant ses besoins, à l’image de la rose centifolia, dont les champs comptent aujourd’hui deux hectares. À l’avenir, le parfumeur envisage de planter du lavandin sur ses terres.

S’il est rare pour une marque de niche de posséder ses champs de fleurs, le made in Grasse ne cesse, en revanche, de séduire une filière parfum en quête d’authenticité, de savoir-faire traditionnels et de terroir. Activité florissante dans les années 1930, la culture des fleurs a progressivement décliné dans le pays de Grasse au cours du XXe siècle. Les partenariats passés avec les producteurs de la région par Chanel dans les années 1980, puis Dior et Lancôme plus récemment, lui ont apporté un nouveau lustre. L’inscription au Patrimoine Mondial de l’Unesco des savoir-faire liés au parfum de Grasse en 2018 et la marque collective Grasse Expertise destinée aux professionnels de la filière arômes-parfums-saveurs-senteurs du territoire grassois, ou même la reconnaissance par l’INPI de l’indication géographique « absolue Pays de Grasse », valorisent elles aussi les produits d’exception de la région, où il souffle un vent de renouveau.