« Aucun écosystème n’échappe aux contaminations » des substances per- et polyfluoroalkylées, désignées par le sigle PFAS, résume pour l’AFP Yann Aminot, chercheur à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). Depuis six ans, ce spécialiste de la contamination de l’environnement a examiné des sédiments des océans Indien et Pacifique, des foies de dauphins du Golfe de Gascogne ou des prélèvements de parcs ostréicoles français. « Je crois que je n’ai jamais vu un seul échantillon exempt de contaminants perfluorés », raconte-t-il.

Ces molécules de synthèse, dont la plus connue a donné naissance au Téflon des poêles, ont été développées après-guerre pour conférer aux emballages, peintures et revêtements une résistance exceptionnelle à l’eau ou à la chaleur. Une qualité devenue une menace : « s’agissant de composés persistants, qui ne se dégradent pas, et qui sont mobiles, ils vont se retrouver dans le milieu marin, qui est toujours le réceptacle ultime des contaminations », détaille le chercheur français.

La prise de conscience de cette dissémination date de 2001, quand une étude américaine fit la synthèse des recherches menées autour des Grands Lacs d’Amérique du Nord, en mer Baltique et en mer Méditerranée : le pygargue à tête blanche, l’ours polaire, l’albatros et diverses espèces de phoques, tous étaient contaminés par les PFOS - une famille de PFAS utilisée dans les détergents, les mousses anti-incendies, les cires, désormais interdite, mais toujours présente dans l’environnement.

Depuis, de multiples études ont établi leur diffusion massive, via le transport des molécules dans l’air, l’eau et à travers la chaîne alimentaire, même si les effets restent difficiles à mesurer. Dans l’estuaire de la Seine, récemment scruté par l’Ifremer, tout est contaminé : du zooplancton assimilé par les coquillages, eux-mêmes consommés par les petits poissons, jusqu’aux soles et bars, prédateurs en bout de chaîne alimentaire.

Une fois dans l’organisme, les PFAS semblent pouvoir atteindre le cerveau des vertébrés et affecter le système nerveux, relevaient en 2021 deux écotoxicologues de Pittsburgh, aux États-Unis. Tandis qu’une étude australienne détectait en 2022 leur présence dans des œufs de tortues, établissant une transmission de la femelle à la progéniture.

« Substitutions regrettables »

Entre la Norvège et le Groenland, plus de 100 tonnes de PFAS passent annuellement entre l’océan Atlantique Nord et l’Arctique, à travers le détroit de Farm, estime une étude publiée en janvier par l’ONG American Chemical Society (ACS), avec des traces détectées à 3.000 pieds de profondeur. [1]

Si la famille des PFAS contient plus de 4.000 molécules, la contamination mondiale est la « mieux documentée pour une vingtaine d’entre eux, les plus stables », « mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg », résume Yann Aminot.

Les plus détectés sont ceux de la sous-famille des PFOS et PFOA (utilisés notamment pour rendre les plastiques imperméables à l’eau ou à l’huile), interdits depuis 2009 pour les premiers et fortement restreints depuis 2019 pour les seconds, par la Convention de Stockholm.

Mais « les molécules introduites en remplacement ne sont pas moins nocives, ni moins toxiques et pas nécessairement moins persistantes », explique M. Aminot.

Ces alternatives, qualifiées de « substitutions regrettables » par les chimistes environnementaux, sont parfois dégradables, mais vont se lier dans la nature aux PFAS plus robustes et devenir « indirectement persistants », décrit Pierre Labadie, chercheur au CNRS. « Derrière la famille historique, c’est une vraie jungle, on a du mal à estimer le volume de la partie immergée », ajoute-t-il.

Faute d’avoir une liste à disposition, « on fait des approches détournées, presque de police judiciaire », raconte Yann Aminot, obligé de « chercher à l’aveugle des molécules » dont l’industrie garde le secret.

Mais les PFAS sont-ils nocifs à faible dose ? Si les données manquent encore, Yann Aminot fait le parallèle avec les perturbateurs endocriniens, qui ne suivent pas le principe "la dose fait le poison" et sont toxiques à très faible concentration.

« Un organisme sauvage n’est jamais exposé à un seul PFAS, mais à un cocktail de PFAS et aussi de micropolluants », rajoute Pierre Labadie. Personne ne sait encore évaluer ces effets cumulés, « un véritable défi » pour la science, qui invite à prendre toutes les précautions sans attendre, justifie-t-il.