Qui n’a jamais eu la peau qui tiraille après une douche, ou un simple nettoyage ? On a beau choisir des produits spécialement formulés pour les besoins de notre peau, cette sensation revient souvent... un phénomène que des chercheurs de l’université de Stanford, aux États-Unis, ont décidé de décrypter [1] « Ce travail permet de mieux comprendre comment les produits affectent les propriétés physiques de notre peau, ce qui inclut non seulement la santé de la peau, mais aussi la perception sensorielle de la peau. Il s’agit d’une avancée significative. Cela permet de mieux comprendre comment concevoir ces formulations », explique le professeur Reinhold Dauskardt, principal auteur de ces travaux, dans un communiqué.

Contraction de la couche cornée

Pour mener à bien leurs recherches, les scientifiques sont partis d’un constat simple : la peau est non seulement le plus important organe du corps, en termes de poids et de superficie, mais aussi le plus exposé aux agressions extérieures. Et pour cause, la couche la plus externe et la plus superficielle de la peau, la couche cornée, est la principale barrière naturelle de l’organisme, dont l’une des fonctions est de bloquer les potentielles agressions extérieures, dont la pollution, les bactéries, ou les produits chimiques, et de maintenir l’humidité. Les chercheurs expliquent que certaines actions, comme l’usage d’un produit nettoyant, entraînent une contraction de la couche cornée, quand d’autres, comme l’application d’un produit hydratant, la font gonfler.

À partir de cet état des lieux, les auteurs de l’étude ont imaginé que les forces mécaniques générées par ces distorsions de la peau pouvaient potentiellement atteindre des récepteurs sensoriels spécifiques, les mécanorécepteurs, pour se métamorphoser en signaux neurologiques. Lesquels alertent le cerveau, ce qui se traduit par une sensation de tiraillement. L’objectif des chercheurs a été de vérifier cette théorie via des tests biomécaniques in vitro, une modélisation numérique, puis une enquête d’auto-évaluation in vivo, comme détaillé dans la revue PNAS Nexus.

Plus précisément, il s’agissait d’examiner les effets de neuf formules hydratantes et de six nettoyants sur des échantillons de peau prélevés sur la joue, le front, et l’abdomen, puis de déterminer les changements opérés sur la couche cornée en laboratoire, avant d’intégrer ces informations dans un modèle de peau humaine pour tenter de déceler les signaux envoyés par les mécanorécepteurs. Ultime étape : comparer ces prédictions avec les sensations de tiraillement ressenties - ou non - par les 2.000 femmes recrutées en France pour tester les crèmes hydratantes, et les 700 femmes conviées en Chine à évaluer les nettoyants.

Communication intra-dermique

« Nous avons pu classer les différentes formulations en fonction de ce que les sujets devraient dire à propos de la perception sensorielle de leur peau », expliquent les chercheurs. « Nous avons comparé ce que nous avions prédit à ce que les sujets humains nous avaient dit, et les planètes se sont parfaitement alignées. En d’autres termes, nous avons prédit exactement ce qu’ils nous ont dit. Il s’agissait d’une corrélation absolument remarquable avec une signification statistique très élevée ».

Ces travaux financés par L’Oréal Research & Innovation pourraient permettre aux laboratoires et marques de cosmétiques d’améliorer leurs formules et de mettre au point des produits (encore) mieux adaptés aux besoins de chacun.

« [Ces méthodes] fournissent un cadre pour le développement de nouveaux produits. Si vous agissez sur la couche externe de la peau en modifiant son état de tension et de stress, nous pouvons vous dire comment cette information est transmise et comment elle sera comprise et rapportée par les consommateurs », ajoute le professeur Reinhold Dauskardt.

Toutefois, le mécanisme par lequel les mécanorécepteurs cutanés et les neurones sensoriels correspondants sont activés n’a pas été établi.

Néanmoins, les chercheurs voient déjà bien plus loin, souhaitant approfondir leurs recherches pour développer, par exemple, des dispositifs portables qui enverraient des signaux intentionnels au cerveau en agissant sur la couche cornée.

« Ce que nous avons fait, c’est révéler comment l’information mécanique passe de la couche externe de cornée aux neurones situés beaucoup plus bas dans les couches de la peau. Maintenant, pouvons-nous communiquer à travers la peau humaine ? Pouvons-nous construire un dispositif permettant de fournir des informations à quelqu’un de manière non verbale, non visuelle, en utilisant notre compréhension de ces mécanismes ? C’est l’un des domaines qui nous intéressent le plus », concluent-ils.