La vague de l’intelligence artificielle qui inonde le monde connecté a déjà largement séduit les influenceurs, qui entendent s’en servir pour pimenter leurs contenus, mais ils doivent aussi compter avec une nouvelle concurrence …

Créatures virtuelles

Tenues près du corps et chevelure rose, l’influenceuse Aitana Lopez est décrite comme "forte" et "déterminée" par l’agence espagnole de publicité The Clueless. Malgré plus de 300.000 followers sur Instagram, ce n’est pas une vraie personne qui s’affiche sur les écrans, mais le produit - très stéréotypé - de l’imagination de geeks.

La première motivation était économique. « Nous avons pris en compte la hausse des coûts associés aux influenceurs humains », souligne depuis Barcelone Sofía Novales, une responsable de The Clueless. Il faut dire que le marché de l’influence attise les appétits. Il pourrait atteindre près de 200 milliards de dollars d’ici à 2032, selon des données d’Allied Market Research.

Mais il y a un autre avantage. « Un contrôle créatif inégalé, permettant une prise de décision transparente en matière d’image, de mode et d’esthétique sans avoir besoin de séances photo physiques », fait-elle valoir.

L’essor de l’IA alimente toutefois les inquiétudes quant à la prolifération de vidéos deepfake qui pourraient être utilisées à des fins malveillantes. Meta, propriétaire de Facebook et d’Instagram, a annoncé vendredi qu’il commencerait à apposer des étiquettes « Fabriqué avec l’IA » sur le contenu généré par l’IA en mai.

Public plus jeune

Des influenceurs représentés par des avatars ? Rien de vraiment neuf : après tout, Barbie a bien un compte Instagram suivi par des millions de followers. Mais ils prennent aujourd’hui une autre dimension, devenant même des acteurs dans des publicités qui ressemblent à s’y méprendre à de vrais modèles.

C’est le cas de Lil Miquela, 2,6 millions d’abonnés sur Instagram. Créée par une agence californienne en 2016, elle cumule d’innombrables collaborations (comprendre : publicités, dans le jargon de l’influence). Dont une pub au design ultra-léché pour le constructeur automobile allemand BMW : l’objectif était de « créer quelque chose de jamais vu auparavant », explique la société à l’AFP dans un courriel. « Attirer une génération plus jeune et férue de technologie constitue pour nous la cerise sur le gâteau ».

En France, Maud Lejeune, à la tête de l’agence d’influence et de marketing AD Crew, analyse : « C’est comme les acteurs à la télé : on sait que cela n’existe pas, on les suit pourtant et ça nous intéresse, c’est comme si on regardait une mini série ».

Percées technologiques

Les nouvelles avancées technologiques, comme l’IA générative de vidéos Sora lancée par OpenAI, pourraient accélérer le phénomène. Charles Sterlings, influenceur français, y voit une opportunité de faire des traductions. Il utilise divers outils, dont les plateformes HeyGen et Rask.ai, qui permettent une synchronisation labiale. En clair, l’IA transforme sa vidéo, de sorte qu’il n’a pas besoin de s’enregistrer en anglais ou en espagnol. Il utilise aussi Deepshot, un logiciel de génération et de remplacement de dialogues, pour faire des "deepfakes", des hypertrucages, à partir de vraies vidéos.

Mais Charles Sterlings voit les limites de l’exercice : « Tout le monde peut être influenceur depuis son téléphone. À terme, ce sera des intelligences artificielles, disponibles 24 heures sur 24, beaucoup moins chères à faire évoluer ».

L’agence The Clueless se défend pourtant de vouloir prendre la place d’influenceurs en chair et en os. « Nous ne pensons pas que les modèles réels deviendront obsolètes ou seront remplacés par des modèles générés par l’IA comme Aitana. A notre avis, ils peuvent coexister », affirme Sofia Novales.

Pour Maud Lejeune, l’arrivée de l’IA pourra aider des influenceurs devant toujours produire davantage de contenus. « C’est compliqué de s’exposer à long terme : certains créateurs font des burn-out (...). Peut-être que l’intelligence virtuelle va être une nouvelle manière de s’exprimer sans s’exposer », dit-elle.