DR. Ulrich Nebe, Heinz Glas

À son arrivée, en 1999, le nouveau tandem Carl-August Heinz et Ulrich Nebe prend « LA » grande décision stratégique qui va forger le Groupe Heinz pour longtemps. «  Fini le tout-venant dans le verre ! Heinz-Glas sera un ‘Grand’ dans le flaconnage haut de gamme parfumerie cosmétique ou … ne sera pas ! ».

Un challenge de taille auquel Ulrich Nebe va s’atteler avec détermination. L’outil de production est mis à plat. Une immense réorganisation se met en place. Il faut abandonner des marchés hors parfumerie-cosmétique par pans entiers, réorganiser l’outil, fermer ici, moderniser là, construire ailleurs. La vision est claire et elle va s’avérer payante. Et les dirigeants sont prêts à prendre tous les risques. Ulrich Nebe ne va pas s’en priver. L’occasion se présente avec le flacon de Zanzibar de Van Cleef & Arpels. «  Un véritable défi pour nous, » confie Ulrich Nebe. « Un flacon très difficile qui semblait hors de portée à l’époque du niveau technique de Heinz-Glas à la fois à cause de sa forme, de la répartition du verre et de la qualité générale à atteindre. »

Pourtant le nouveau Directeur Général du Groupe décide, contre vents et marées, que ce flacon sortira en temps et en heure des lignes de production et que sa qualité en surprendra plus d’un ! Nous sommes en 2000 et, contre toute attente, le pari va être réussi. «  Nos confrères avaient de la peine à le croire, » explique Ulrich Nebe. Et la présentation du flacon à un salon professionnel fait l’effet d’une traînée de poudre tant dans la profession que chez les clients. «  Ils ont réussi ! »

Deux ans plus tard, Heinz-Glas signe en automatique le superbe flacon du nouveau parfum Vera Wang. «  Un flacon qui n’était réalisable, soi-disant, qu’en semi-automatique », explique Ulrich Nebe, « et que nous réussissons à faire en automatique. » Puis c’est le Thierry Mugler Cologne…. La liste ne fera que commencer.

Trois références sur la même ligne en même temps !

« Mais pour en arriver là et, surtout, aller plus loin, il ne fallait pas seulement prendre certains risques commerciaux ou techniques, » insiste Ulrich Nebe, « il fallait aussi repenser la façon de faire les choses, quitte à bousculer les idées reçues. » Ainsi, sous son impulsion, les ingénieurs mettent au point une nouvelle technique brevetée qui permet de fabriquer sur une même ligne des flacons totalement différents sur la forme et leur poids de verre, une technique qui fonctionne en simple et double gob. «  Sur nos trois sites, explique Ulrich Nebe, on peut produire, si nécessaire, jusqu’à trois références avec une différence de poids de verre qui peut aller jusqu’à 50 grammes, en faisant cohabiter les techniques du soufflé/soufflé et du pressé /soufflé. »

Les bénéfices d’une telle avancée technologique sont évidemment multiples. Tout d’abord les changements de format sur ligne de production sont progressifs. À aucun moment la ligne n’est totalement arrêtée. Les changements de planning sont plus faciles à gérer et sans conséquence majeure pour les productions en cours. La mise en place d’un flacon supplémentaire est très rapide. Les usines gagnent en réactivité et gagnent en flexibilité et pourront un jour mieux gérer les modifications de prévisions de marché. La gestion des stocks est directement optimisée. « Nous fabriquons les justes quantités, insiste Ulrich Nebe. Nous avons donc moins de stocks et/ou des stocks plus éphémères. On se rapproche du flux tendu. »

Production - Heinz Glas

Le minima de réassort pour un flacon reste logiquement une journée de production. « Et c’est là que l’avantage client prend toute sa valeur, insiste Ulrich Nebe, puisqu’une journée de production avec deux ou trois sections représente une petite moitié du travail journalier de la ligne. Par ailleurs, il est admis que sur une ligne 8 sections mono-format, la quantité de pièces mini pour entrer en production est de 55 000 à 60 000 unités. Grâce à notre procédé, le minimum de production tombe à 25 000 pièces (Mais attention aux temps de réglage qui restent en proportion !). A la demande du client, nous pouvons donc produire aussi des petites quantités. Un gros atout dans le cas du lancement d’un nouveau flacon d’une marque émergente, dans le cas d’un marché test, dans le cas de commandes additionnelles, pour un dépannage en cas de commandes hors prévisions et urgentes, pour la production de séries limitées avec des niveaux de qualité adaptés, enfin pour le maintient sur le marché de gammes en fin de vie ! »

Maîtriser tout le parachèvement : la clé du verrier moderne

C’est l’autre chantier important décidé en haut lieu à partir du début des années 2000. Heinz-Glas, là aussi, « sera à la hauteur des défis en matière de décors et tout type de parachèvement… ou ne sera pas ! » Et ce seront pas moins de 15 millions d’euros qui seront dépensés dans ce sens en dix ans. Dépolissage acide, sérigraphie, marquage à chaud, laquage hydrobase, métallisation et, surtout, tampographie, le Groupe va se donner les moyens en se payant une unité toute neuve de laquage à Kleintettau (4 lignes de laquage, pour une capacité de 120 millions de pièces par an, 2 enceintes de métallisation), en ultra spécialisant son usine tchèque et en investissant fortement en parallèle à la fois dans les usines polonaise, chinoise et, maintenant, péruvienne. «  Aujourd’hui, pour nous les verriers, la clé à tous les niveaux de la production, reste la flexibilité et le parachèvement en est un maillon essentiel. »

Fer de lance de cette démarche volontariste, la tampographie. « C’est vrai que cette technique est absolument fantastique, explique Ulrich Nebe. Elle permet les décors en creux, les décors sur relief, les décors multi-faces. Et nous avons beaucoup investi, en particulier sur la tampographie multi-passes avec rotation des flacons en ligne, la tampographie haute précision en quadrichromie et la tampographie, c’est nouveau en parfumerie, métaux précieux. »

Contrôle qualité - Heinz Glas

Dernière référence en date, fruit de cette maîtrise technologie en tampographie, le flacon Opium.

Laboratoire d’idées

Peut-on encore vraiment innover dans le verre, matériau ancestral ? «  Oui, dix fois oui ! » insiste Ulrich Nebe. « Nous le prouvons tous les jours. Les défis à relever sont immenses et constants. C’est aussi souvent une question d’astuces. Prenez, par exemple, cette technique que nous avons mise au point pour fabriquer et acheminer sur nos tapis transporteurs des flacons et des échantillons qui ne tenaient pas debout. Et bien, nos ingénieurs ont trouvé l’astuce en mettant au point des petits godets en céramiques qui maintiennent les produits à la verticale pendant leur transformation et leur acheminement, le tout en automatique et en double gob. »

« Autre exemple, ‘Perbuseal,’ un procédé que nous avons mis au point pendant quatre ans pour l’enduction de la surface du buvant d’un pot à crème choisi, entre autres, par le groupe Beiersdorf. Coût de la recherche, un demi million d’euros. Il s’agit d’un verre technique neutre lié à une huile organique qui est brûlée sans laisser de résidus après l’opération de frittage. Cette couche de verre frittée est solidement accrochée au buvant de la bague et élimine l’apparition de lessivages hygroscopiques. Tout est également dans la rugosité définie de la surface du revêtement. La force et la température de thermoscellage permettent de régler la force et comportement pour le type de désoperculage voulu. »

Un maître mot : « Flexibilité »

Flexibilité et lourdeur chronique d’une industrie verrière sont-elles compatibles ?

«  C’est tout le paradoxe, » insiste Ulrich Nebe. «  Mais la réussite de notre développement et de la pérennité de notre métier réside précisément dans la résolution de cette équation. C’est ce qui nous a guidé dans la mise au point de la fabrication sur la même ligne de trois types de flacons différents. C’est la même démarche en matière de lignes de parachèvement. Ce doit être aussi la même démarche au niveau de la production de verre proprement dite et disposer de la capacité disponible suffisante (pour ne pas dire « bien supérieure » à une logique industrielle classique) en ’tonnes de verre’ pour réagir au quart de tour si le marché se met à croître soudainement. »

Mais pour le Groupe Heinz-Glas, la « flexibilité » est aussi dans les hommes et leur adaptation aux évènements.